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Le Directeur général de la Bourse d’Alger, M. Yazid Benmouhoub : «Les conditions d’introduction en Bourse sont assez souples pour les entreprises»

Dans cet entretien accordé à Algérie Invest, le Directeur général de la Bourse d’Alger, M. Yazid Benmouhoub, plaide pour que la Bourse soit à l’avenir un moyen de financement aux côtés des banques, pour essayer de répondre aux besoins de l’économie nationale. Suite à la chute du prix du pétrole en 2014 faisant littéralement fondre le niveau de la liquidité bancaire, M. Benmouhoub craint qu’il y ait un «risque systémique» sur le modèle de financement de l’économie nationale. Et clame la nécessité de chercher d’autres leviers, à l’instar de la Bourse. Si le secteur public dispose des moyens de se financer sans avoir recours à la Bourse, il n’en est pas de même pour le secteur privé, note Yazid Benmouhoub. Qui s’attarde sur les raisons qui font que les sociétés privées, souvent familiales, rechignent à s’introduire en Bourse. M. Benmouhoub évoque aussi les nombreux avantages d’une introduction en Bourse.

 Entretien réalisé par : Younès Djama

Algérie Invest: Le financement de l’économie nationale sans la contribution du marché financier constitue-t-il un handicap majeur dans le processus de relance économique en Algérie ?

M. Yazid Benmouhoub: Il est vrai que lorsqu’on regarde l’histoire économique de l’Algérie, on s’aperçoit que le modèle de croissance est basé sur un modèle de financement essentiellement basé sur l’endettement. Soit les banques publiques qui financent pratiquement 90% des besoins ou c’est le Trésor public et on a vu que c’est l’Etat qui tire la croissance par la commande publique. Aujourd’hui, ce qui a été remarqué c’est que la chute du prix du pétrole au 2e semestre 2014 a eu un impact direct sur le niveau de la liquidité bancaire, laquelle a fondu comme neige au soleil à près de 65%. Il est fort possible qu’il y ait un risque systémique sur le modèle de financement de l’économie nationale. D’où la nécessité de chercher d’autres leviers. À l’instar de la Bourse, des fonds d’investissements, lesquels peuvent aussi être des leviers de financement importants. À ce titre, nous aspirons à ce que soit à l’avenir un moyen de financement aux côtés des banques, pour essayer de répondre aux besoins de l’économie nationale.

Le processus d’ouverture du capital des entreprises publiques économiques (EPE) via la Bourse d’Alger n’arrivant pas à se poursuivre depuis les expériences de l’Hôtel El Aurassi, Eriad Sétif (qui en est ressortie !) et Saïdal, ne constitue-t-il pas un aveu d’échec du processus de mise en place d’un marché financier en Algérie ?

Généralement, quand on parle de la Bourse, j’ai tendance à beaucoup plus focaliser sur les entreprises privées. Parce que, qu’on le veuille ou non, les entreprises publiques ont les moyens de leur politique. Elles sont la propriété de l’Etat, le Trésor a toujours répondu présent aux besoins de financement, d’assainissement, etc. Donc, en réalité, le secteur public, tel qu’il est conçu aujourd’hui, a les moyens de se financer sans avoir recours à la Bourse. Le problème se pose pour le secteur privé. Lequel a des ressources limitées, et souvent il recourt à de l’autofinancement ou bien il fait appel aussi au secteur bancaire pour son modèle de financement. Partant de là, il serait intéressant, dans un premier temps pour asseoir plus de confiance au niveau du marché, d’introduire certaines entreprises publiques. On pourrait par exemple reprendre les fameuses huit sociétés publiques qui devaient faire leur introduction en bourse en 2013, le processus n’ayant pas abouti. Mais en soi, sur le nombre de sociétés cotées, nous avons à égalité deux du secteur public et deux du secteur privé (trois si l’on rajoute AOM Invest). Partant de là, le marché doit répondre à un besoin, sans distinguer l’entreprise selon qu’elle soit publique ou privée, c’est une question d’opportunité. Encore une fois, les entreprises publiques ont les moyens, et je dirais que la balle est beaucoup plus du coté des entreprises privées. Elles devraient normalement faire leur entrée en bourse en nombre, parce que nous avons aujourd’hui de nombreuses sociétés privées qui sont connues et de taille conséquente, et qui normalement devraient aujourd’hui être cotées en bourse. C’est là que nous aurons un véritable marché financier.

Le secteur privé est toujours réticent à une introduction en Bourse. L’aspect transparence dans la structure du capital des sociétés privées peut-il en être la principale raison de cette réticence ?

C’est une raison mais pas la principale. Parce que si on veut faire une liste des facteurs qui font que les entreprises ne recourent pas à la Bourse, c’est d’abord dû au modèle lui-même basé sur un financement purement bancaire. L’entreprise privée s’autofinance ou bien elle recourt au marché bancaire. L’idée d’aller vers la Bourse n’est pas une démarche aisée pour ces entreprises. D’un : parce qu’elles n’ont pas la culture boursière nécessaire, c’est quelque chose de nouveau dans le paysage financier. Et de deux : s’agissant de transparence, les entreprises privées sont familiales et sont réticentes à l’ouverture de leur capital à un actionnaire étranger à la famille. Ça n’est pas propre à l’Algérie. Mais il faut savoir que nous avons un adversaire de taille : le marché informel. Celui-ci brasse des milliards de dollars qui sont en circulation, et beaucoup de ces entreprises-là s’y retrouvent peut-être. Elles ont un pied dans le formel, un autre dans l’informel, parfois par la force des choses. Quand il n’y a pas de factures, elles sont bien obligées de travailler. On ne justifie pas le recours au marché informel mais parfois c’est une contrainte avec laquelle ces entreprises essaient de travailler…Aujourd’hui, de par l’orientation économique nouvelle (sortir d’une économie de rente vers une économie de la connaissance), pour que ces entreprises privées restent (pérennité) et si elles souhaitent grandir, il leur faut des fonds. Si elles souhaitent aller vers l’international, et l’Etat fait énormément d’efforts pour encourager nos entreprises à exporter, le marché boursier devient par la force des choses, une nécessité pour ces entreprises-là. Il existe d’autres facteurs comme par exemple la mise en place des crédits bonifiés, laquelle a créé un effet d’éviction sur le marché. Il y a aussi la question de la transparence dans la gouvernance…

Est-ce à dire que ces entreprises privées passent à côté d’opportunités de développement importantes ?

Vous avez entièrement raison, et personnellement je l’ai toujours dit : elles ratent une opportunité extraordinaire. Il faut savoir que les conditions d’accès en Bourse que nous mettons en place, elles poussent les entreprises déjà à améliorer leur gouvernance. La majorité des entreprises privées aujourd’hui sont soit des SARL, des EURL soit des sociétés de personnes, et le passage à la Bourse nécessité la constitution d’une SPA (Société par actions). Lorsque vous avez une SPA, vous avez un conseil d’administration, une AG (Assemblée générale). Donc, les organes de gestion d’une entreprise selon les normes consacrées, ne peuvent être réunies que lorsqu’il s’agit d’une SPA. Par conséquent, toutes les entreprises qui s’introduisent en Bourse vont inévitablement améliorer leur gouvernance. D’autre part, il y a énormément davantages fiscaux pour les entreprises cotées. Il y a eu l’introduction d’une réduction de l’IBS (l’impôt sur le bénéfice des sociétés) pour les entreprises cotées et pour une durée de 5 ans. C’est aussi une opportunité dans le sens où ces entreprises, une fois en Bourse, vont lever des fonds tout en gardant leur patrimoine. Alors que pour le financement bancaire, elles sont obligées de présenter leur patrimoine comme garantie. Nous, à la Bourse, nous ne leur exigeons pas cela. Il y a un élément fondamental dans les introductions en Bourse : la notoriété que gagne une entreprise lorsqu’elle fait ses premiers pas en Bourse. Elle devient une entreprise connue aussi bien au niveau local qu’international, et par conséquent, si demain elle souhaite aller sur le marché international, il lui est très facile de le faire. Elle devient une entreprise qui attire les investisseurs étrangers qui n’auront pas de réticences parce qu’ils savent que c’est une entreprise cotée et donc transparente. Ce sont des avantages qui peuvent véritablement booster les sociétés à s’introduire en Bourse.

La relance du compartiment obligataire de la Bourse d’Alger est-elle opportune dans le contexte économique actuel ?

Lorsque j’ai parlé de la baisse de la liquidité bancaire, en 2014, beaucoup d’entreprises auraient dû recourir au marché obligataire. Nous avons malheureusement eu très peu d’entreprises qui l’ont fait. Nous avons eu deux sociétés qui ont effectué une levée de fonds à travers le marché obligataire. Il est généralement vrai qu’en temps de crise, le marché obligataire a tendance à se développer ailleurs. Cela n’a pas été le cas en Algérie, mais nous espérons que des entreprises viendraient à faire des levées de fonds par des emprunts obligataires qui restent aussi un segment intéressant pour les sociétés.  

Au vu de la presque paralysie de l’activité boursière, la révision des textes juridiques régissant le marché financier dans une démarche novatrice comme cela est le cas avec la loi sur l’investissement, ne constituerait elle pas un nouveau départ pour la Bourse d’Alger ?

Lorsqu’on regarde l’arsenal juridique et réglementaire de la Bourse d’Alger, on s’aperçoit qu’il n’est pas contraignant. La Bourse est une structure technique, avec des conditions d’accès. Par conséquent, lorsque je dis qu’une entreprise doit être une SPA et elle doit ouvrir 20% de son capital au minimum, il me semble que ce n’est pas une condition qui ne puisse pas être satisfaite. Les conditions d’introduction sont déjà assez souples pour les entreprises. Il reste un souci qui est celui de la liquidité du marché. Aujourd’hui, le nombre d’entreprises que nous avons ne permet pas une liquidité suffisante. Par conséquent, de nombreux investisseurs font soit des placements et ne revendent pas ce qu’ils ont acheté. D’autres, lorsqu’ils veulent revendre, trouvent des difficultés à vendre et pour ceux qui souhaitent acquérir des titres, ils ne les trouvent pas disponibles. Cette liquidité passe donc inévitablement par l’approfondissement du marché à travers l’introduction d’actions nouvelles. Plus nous avons d’entreprises cotées, plus nous aurons d’investisseurs et plus il y aura de transactions. Tout cela doit être véhiculé par une digitalisation de l’ensemble des transactions au niveau de la Bourse.     

La révision du code de commerce et l’introduction de la forme « société par actions simplifiée », ouvrant la voie aux Start up de s’introduire en Bourse, représente-t-elle une opportunité pour des sociétés de capital-risque de s’engager plus dans le financement du processus d’innovation en Algérie ?

Il est clair que nous essayons d’être présents au niveau de l’écosystème Start-up. La création du fonds d’investissement des startups en est le meilleur exemple. Ce fonds devrait à terme faire des sorties des entreprises dans lesquelles il a aujourd’hui pris des parts. Et la meilleure sortie pour un fonds d’investissement c’est à travers la Bourse. Nous avons réfléchi à la création d’un marché dédié aux startups qui serait ce qu’on appelle un marché de l’excellence pour les entreprises qui seraient éventuellement des futures licornes ou qui auront des possibilités d’avoir des marchés et une scalabilité importante. La création de la société par actions simplifiée permet, en fait, une meilleure structuration des startups au lieu d’être sociétés par personnes, mais il faut savoir que dans le texte de loi, il est interdit à la société par actions simplifiée de s’introduire en Bourse. Sauf si elle se transforme en SPA à part entière.

Y.D.   

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