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Omar Berkouk, expert en économie et finances : «l’Etat doit se réformer tout en réformant l’économie»

Dans cet entretien, M. Omar Berkouk, économiste et spécialiste des questions financières, analyse la situation économique de l’Algérie à travers les chiffres annoncés par le gouvernement il y’a quelques jours. Il revient également sur des questions d’ordre internationale qui touchent le pays de façon direct. Les relations algéro-françaises, les BRICS,le nouveau modèle économique mondial ….. Omar Barkouk nous livre son point de vue.

Propos recueillis par : Younès Djama

Algérie-Invest: Quelle lecture faites-vous de la situation financière de l’Algérie ?

La situation financière de l’Algérie est en voie d’amélioration rapide pour les comptes extérieurs : balance commerciale et comptes courants. Ils passent d’une situation fortement déficitaire pour les années 2019 (-10% du PIB), (-13% du PIB en 2020), a une forte contraction de ce déficit en 2021. Ces progrès sont dus à une politique drastique de réductions des importations, à l’amélioration des prix des hydrocarbures qui se poursuit en 2022 et a un progrès notable des exportations hors hydrocarbures (+50%) mais dont le volume global ne contribue que modestement à hauteur de 1,6% au PIB national. S’agissant des comptes internes : déficit budgétaire et endettement leur amélioration suit celle de l’évolution de la fiscalité pétrolière. Le déficit budgétaire passera de -12% à -4% du PIB et le taux d’endettement se maintiendra autour des 60% du PIB.

Ces progrès comptables et financiers ne reflètent en aucun cas une amélioration de la situation économique du pays. Ils confirment une fois encore la dépendance de l’économie nationale à un facteur exogène : le prix des hydrocarbures.

Cependant cette embellie temporaire ou durable doit être utilisée pour entamer la rénovation complète du tissu économique. Quand l’étreinte financière se desserre, il faut faire les reformes.  

 L’envolée des prix du pétrole semble favorable à l’Algérie. Comment optimiser au mieux cette embellie ?

Effectivement, l’amélioration des comptes internes et externes de la nation témoigne de cette embellie financière. Mais pour ne pas reproduire les erreurs de gestion et les gabegies de la décennie 2004-2014, il faudra «semer» du pétrole de telle manière à récolter une croissance économique endogène, solide et autonome. Les marges de manœuvres financières retrouvées devraient permettre l’engagement de réformes de structure courageuses et profondes, seules capables de transformer l’économie nationale de rentière à productive. La tentation à éviter à tout prix est de croire que l’Etat est seul capable d’assurer la (re)naissance de l’économie nationale à coup de grands projets. C’est un secteur privé national, redynamisé par des libéralisations administratives et sectorielles, des transformations des modes de financement et des désengagements de l’Etat de la sphère marchande qui constituera le socle de la diversification économique tant souhaitée.

Les exportations algériennes hors hydrocarbures ont atteint près de 4 milliards USD à fin août 2022, soit une hausse annuelle de 42%, a indiqué le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane. Comment maintenir voire renforcer cette dynamique ?

La performance à l’exportation du secteur hors hydrocarbures est notable mais elle reste bien en deçà du potentiel du pays. L’Algérie paradoxalement a été le pays où il était plus facile d’importer que d’exporter. Ce paradoxe a «détruit» l’industrie manufacturière nationale sur 20 ans. L’économie nationale était réduite à «pomper» du pétrole et à acheter au reste du monde ce dont elle avait besoin pour vivre.  L’activité export est une culture et une motivation. Les anciens Tigres et Dragons d’Asie ont bâti leur développement et leur richesse sur cette base.

Aujourd’hui, l’Algérie peut capitaliser rapidement sur des secteurs évidents : les produits agricoles, les médicaments vers l’Afrique subsaharienne, l’énergie solaire et le tourisme. Le secteur du tourisme est très important, il constitue des exportations consommées sur place.

Comment évaluez-vous les efforts de diversification économique ?

Il y a la volonté exprimée avec vigueur par les autorités de diversifier l’économie nationale mais les actes pour la concrétiser ne suivent pas. A ce jour beaucoup de textes de lois ont été pris par le Gouvernement pour aller dans ce sens mais l’ensemble de l’appareil bureaucratique national /local et l’accès au financement sont «paralysés» souvent par la crainte et parfois par incompétence. Les courroies de transmission de la volonté de changement sont bloquées. C’est l’héritage «culturel» d’un mode de Gouvernance que l’on voudrait appartenir au passé mais les habitudes ont la vie dure. L’exercice est difficile, l’Etat doit se réformer tout en réformant l’économie. C’est le tout en même temps à la mode sous d’autres cieux.  

 La Première ministre française, Elisabeth Borne, sera en visite les 9 et 10 octobre Algérie. Une visite qui survient après celle effectuée en aout dernier par le président français. Dans le contexte de crise énergétique mondiale, comment interprétez-vous ce réchauffement des relations économiques et commerciales entre Alger et Paris ?

Les relations algéro-françaises sont sur le mode «je t’aime, moi non plus». Les affects contradictoires qu’ils montrent alternativement au gré des événements ne sont pas importants au regard des liens qui unissent les deux pays. La France a besoin de l’Algérie au-delà des questions énergétiques et l’Algérie a besoin de la France comme porte d’entrée à l’Europe, ensemble qui dépasse la simple relation bilatérale comme réponse à son besoin de développement. La France a perdu en 2012 sa première place de partenaire commercial de l’Algérie au profit de la Chine. Ce déclassement économique est beaucoup moins important pour elle qu’une perte d’influence politique et culturelle. L’usage du Français est presque aussi important qu’un excédent commercial. Ceci a été bien compris par les autorités algériennes.

Les demandes algériennes demeurent les mêmes : un traitement respectueux et une aide au développement par l’investissement et les transferts de savoir-faire. Les réponses françaises restent les mêmes : réformez votre Etat et votre économie. Jouez un rôle géostratégique dans la sous-région à la hauteur de votre puissance. Dans le cas contraire la relation se résumera à une relation client-fournisseur.  

 Abordons les BRICS et l’intérêt de l’Algérie à y être?

Le souhait d’être coopté par le «Club» des BRICS est la manifestation renouvelée du désir de l’Algérie post indépendance de rester non alignée. Ce qui est une illusion. Rejoindre les BRICS c’est être du côté de la Chine et de la Russie deux contestataires à raison de l’hégémonie occidentale mais qui ont avec l’Inde la taille et la puissance de concourir au leadership mondial. Le choix de l’avenir est une soumission à l’Asie ou à l’occident. La Banque des BRICS n’est pas installée par hasard en Chine. Hélas les «petits» n’ont pas d’autre choix que celui du maitre à servir. Pour s’en affranchir il faut pratiquer l’opportunisme britannique : ni amis, ni ennemis que des intérêts.

Crise du covid et guerre en Ukraine, l’économie mondiale a vu de grands bouleversements. Vers quel modèle économique se dirige le monde ? Est-ce une opportunité pour l’Algérie ? Comment la saisir ?

Après 30 années de mondialisation, de libéralisation du commerce et de l’investissement qui ont contribué à l’essor de l’économie mondiale nous sommes en train d’assister à une remise en cause au moins partielle du modèle. Les Occidentaux n’ont de cesse de répéter qu’ils ne seront plus «naïfs» à l’avenir et souhaitent ne plus dépendre des ateliers du monde (asiatiques) pour les biens essentiels ou stratégiques. Les transferts de technologies qu’ils ont effectués vers la Chine sont devenus des menaces pour eux. Il en est de même de la dépendance au gaz russe pour l’Europe. Cette ouverture s’est faite sur la base d’une doctrine bien connue : des pays qui commercent entre eux ne se feront pas la guerre. Les tensions récentes nous montrent le contraire. Sans se replier sur lui-même, l’Occident va redéployer sa production et protéger sa technologie. Il cherchera des sites de production dans des pays « amicaux».

Y.D.

North Africa Energy & Hydrogen Exhibition and Conference
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