Mohamed Haichour membre du conseil scientifique de la COSOB: « Les prérequis sont réunis pour encourager l’adoption de la monnaie électronique en Algérie »

Le Premier ministre, M. Aïmene Benabderrahmane, a annoncé que la Banque d’Algérie comptait adopter une monnaie numérique nationale sous le nom de « dinar numérique algérien » dans le cadre de la numérisation des paiements. Pour M. Haichour, la majorité des prérequis sont réunis pour encourager l’adoption de la monnaie électronique en Algérie. Mohamed Haichour membre du conseil scientifique de la COSOB (Commission d’organisation et de surveillance des opérations de bourse), estime dans cet entretien La monnaie électronique pourrait être un tremplin pour l’Algérie sur le chemin de la digitalisation de ses services financiers. Selon cet expert financier spécialisé dans les activités de marchés, la monnaie électronique est un nouveau moyen d’accès à des unités de monnaies fiduciaires, permettant des « paiements instantanés ». Ayant travaillé pour des banques multinationales telles que la Citibank Alger, Société Générale Algérie et alBaraka banque Algérie en tant que responsable des activités de marchés, de la trésorerie et Fixed-Income, Mohamed Haichour est auteur de plusieurs réflexions et contributions relatives à l’économie nationale et le système financier et bancaire.
Propos recueillis par : Younès Djama
Algérie Invest: Tout d’abord, qu’est-ce que qu’une monnaie numérique ?
M. Mohamed Haichour : Nous vivons aujourd’hui une mutation du paradigme dans la gouvernance de la sphère financière du pays. Le gouvernement vient de donner à travers la Banque d’Algérie, une nouvelle image plus moderne, une vision futuriste au diapason avec l’évolution de la finance dans le monde. Une nouvelle étape est franchie basée sur la déréglementation de l’ancrage juridique qui encourage l’innovation. La digitalisation des paiements est matérialisée par l’introduction d’une forme digitale de la monnaie fiduciaire développé, émise gérée et contrôlée par la Banque d’Algérie, dénommée (Dinar Algérien Digital). Elle vient de constituer à terme un appui à la forme matérielle de la monnaie fiduciaire. En effet, elle est considérée comme un nouveau canal d’accès à des unités de monnaies fiduciaires, émise par la banque d’Algérie. Ne dépendant pas des règlements interbancaires, elle permet d’effectuer des transactions sans délais et à toute heure. Elle serait donc garantie par la Banque d’Algérie de la même façon que les billets de banque. Elle sera stockée sur des terminaux électroniques d’une façon indépendante d’un compte bancaire, éventuellement mobile «Smartphone», ce que nous appelons communément «E-Wallet» ou d’une manière magnétique sur une carte intelligente qui peut même fonctionner hors ligne. De manière générale, elle pourrait être axée sur la valeur : les gens transféreraient de l’argent sur une carte ou une application mobile à partir de leur compte bancaire, point de vente, carte magnétique. Ou basée sur l’utilisation d’un compte : les particuliers et les entreprises pourraient ouvrir un compte à la banque centrale.
Dans les deux cas, les paiements effectués en monnaie numérique de banque centrale permettraient d’assurer :
- L’anonymat des parties concernées, comme avec l’argent liquide ;
- La traçabilité aux fins d’application de la loi, comme avec les comptes bancaires.
Les monnaies numériques des banques centrales, peuvent être de deux natures, de détails, ou de gros. Celles de détails serait adressées aux particuliers (entreprises ou ménages). Celles de gros serait réservées aux intermédiaires financiers seuls. Telles que les banques. L’Algérie pourrait ainsi choisir de développer un de ces deux types.
La monnaie fiduciaire «pièces de monnaie métallique» ainsi que la monnaie électronique émise par de banque centrale ont la même valeur légale. Ils ont un pouvoir libératoire illimité.
Face à la sous-bancarisation, la monnaie électronique peut-elle être un tremplin pour une meilleure inclusion financière ?
La monnaie électronique pourrait être effectivement un mécanisme efficace pour l’Algérie pour l’inclusion financière et un tremplin vers la digitalisation de ses services financiers. Elle est considérée comme un nouveau moyen d’accès à des unités de monnaies fiduciaires, permettant des paiements instantanés. De part sa nature et son architecture, elle propose une différente manière d’accès et de fonctionnalités de paiements par rapport à l’utilisation des comptes bancaires traditionnels. L’inclusion financière est devenue un pilier de développement incontournable et un enjeu de taille pour les économies qui fonctionnent d’une façon plus flexible.
Elle est l’un des axes «top priorité» pour le gouvernement en quête de trouver des solutions pratiques et sécurisées pour la relance économique prévue pour l’année 2023 en profitant de la manne d’argent de l’informel évalué à l’équivalent de 90 milliards de dollars.
L’Algérie est-elle prête pour cette mutation ?
L’Algérie détient des critères déterminants pour le succès d’un tel objectif. Un taux élevé d’alphabétisation (90%+), de couverture internet (90% 4G) et de pénétration mobile (116%). Un ministère dédié aux Startup et l’économie de la connaissance qui œuvre à mettre en place un écosystème favorable pour accélérer l’innovation dans tous les secteurs notamment celui de la fintech.
Ces critères favorisent la digitalisation du système financier, élément-clé de la reprise économique, et laissent présager un accueil massif des services financiers numériques (SFN) par la population algérienne, particulièrement celle non, ou faiblement, servie par le réseau bancaire, ainsi que celle ne disposant pas de services financiers adéquats. La majorité des prérequis sont réunis «déjà en place» pour encourager et aider à l’adoption de la monnaie électronique en Algérie.
Quels sont les avantages à en retirer ?
Pour les particuliers, l’émission de la monnaie électronique et son utilisation offre la possibilité d’améliorer les revenus ainsi que la vie des populations à bas revenus et l’accroissement de la résilience.
Quant aux entreprises, elles peuvent tirer profit de cet outil, il sera garant, d’une réduction et d’une meilleure gestion des charges, d’un accès facile à des ressources financières autres que celle auprès des banques à des coûts faible, et d’un déploiement de nouveaux modèles d’affaires reposant sur des micro-paiements réguliers.
Quant aux fournisseurs, l’avantage important consiste en la mobilisation de l’épargne informelle. Une manne d’argent considérable à absorber par des solutions innovantes basées sur la confiance et l’efficience. Les opérateurs téléphoniques peuvent jouer un rôle très important en la matière quant à l’absorption de cette épargne informelle. L’Etat pourrait être l’un des bénéficiaires de l’utilisation de cette monnaie électronique, elle permet l’amélioration du ciblage et la rapidité des transferts sociaux et du paiement ainsi que plus de sécurité des transactions de paiement. Elle peut être agilement utilisée pour verser des prestations, aides sociales et subvention de l’état ciblées.
Comment la monnaie électronique peut-elle être un outil pour la digitalisation des services financiers ?
Tous les secteurs ont aujourd’hui recours au digital et aux réseaux sociaux notamment, pour communiquer, et mieux toucher ses clients. Le secteur financier n’y échappe pas, et il se doit de poursuivre sa transformation digitale pour mieux atteindre sa clientèle. Dans un environnement concurrentiel en mutation constante, les banques suivent également ce changement numérique de plus en plus important, se calquant ainsi sur les progrès technologiques. Leur stratégie, leur développement ainsi que leur organisation sont remis en question au quotidien. J’ai eu la plaisir de participer à une journée d’études organisée par IFIDAS, le 29 décembre 2022 à Alger, autour de la thématique de la « Transformation numérique des banques et des sociétés d’assurances: Retour d’expériences et Perspectives », en présence du Ministre de la Poste et des Télécommunications, le Ministre de l’Économie de Connaissance, des Startup et des Micros Entreprises et le Directeur Générale de la règlementation et du crédit au sein de la Banque d’Algérie . La conclusion est que tout l’écosystème, que ce soit les banques, ou bien les assurances sont unanimes pour augmenter la cadence de la digitalisation des services financiers. Le Ministre des Finances a réuni également tous les dirigeants des banques publiques afin d’accélérer la cadence de la digitalisation de leurs banques respectives en préparation d’accueillir les nouveaux changements que le gouvernement a l’intention d’introduire dans le secteur bancaire.
Il est vrai que cette démarche nécessite du temps et devrait être mise en place de façon progressive. C’est un objectif à moyen terme. Avec l’introduction des Banques Digitales et les Prestataires des Services de Paiements «PSP» le signal donné est fort, qui confirme que la Banque d’Algérie va ouvrir le paysage bancaire à d’autres intervenants en dehors des banques traditionnelles. Certainement, l’introduction de la monnaie numérique et tous ces ingrédients permettront sans doute la généralisation de cette monnaie soit dans le segment du gros ou bien du détail.
Le souci avec la monnaie électronique c’est que souvent elle est incomprise et quelques fois elle fait peur. Comment lever les appréhensions à son sujet ?
Il est vrai qu’il y a une catégorie de population dépassant les 70 ans qui peut être impactée voir exclut d’une manière directe ou indirecte par l’utilisation de cette nouvelle façon de paiement. Néanmoins, la démocratisation de l’internet et de TIC (technologies de l’informations et de la communication) d’une manière générale permettront aux Algériens de s’adapter facilement à ce nouveau mode de paiement de 3e génération de la monnaie «fiduciaire, scripturale et puis digitale».
En effet, avec le mécanisme de «Top-up», flexy qui permet le rechargement de sa ligne téléphonique mobile avec de l’argent à partir des points de ventes ou directement de leurs comptes bancaires, ou l’envoi de crédit d’un utilisateur à un autre, la méthode, à mon avis, est déjà comprise par les Algériens. La bonne nouvelle est que l’utilisation de la monnaie digitale ne s’éloigne pas à celle utilisée par les utilisateurs de la téléphonie mobile.
Les opérations qui peuvent être effectuées par la monnaie digitale sont :
· Gestion du compte (Consultation du solde, historique, renouvellement etc.…)
· Envoyer et recevoir de l’argent
· Payer des facture (Electricité, Eau, Opérateur téléphonique, internet etc…)
· Payer un commerçant
· Encaisser et émettre des mandats minutes
Cette appréhension peut être levée rapidement car la majorité des Algériens disposent d’un téléphone Smartphone qui leur permettent d’utiliser la monnaie digitale d’une manière naturelle sans sentir la contrainte technologique.
L’avènement de la monnaie numérique suppose des évolutions réglementaires et des contraintes juridiques à lever. Quelles devraient-elles être ?
Effectivement, d’ailleurs l’introduction de la monnaie digitale à côté de la monnaie fiduciaire est inscrite dans le prochain amendement de la loi cadre « la monnaie et du crédité » qui régit l’activité de la banque d’Algérie et le secteur bancaire et financier d’une manière générale. Plusieurs textes règlementaires et instructions vont suivre afin de mettre en place l’encrage juridique et opérationnel de l’émission, contrôle et gestion de cette monnaie numérique. Il est important de souligner que le Gouvernement à travers la Banque d’Algérie vient d’instaurer une nouvelle culture d’un Etat moderne et efficient avec ces orientations de la relance économique. Un nouveau chapitre dans la gouvernance de l’économie du pays s’ouvre et appelle les dirigeants de toutes les institutions de prendre un nouveau procédé dans la gestion des affaires de l’Etat. Beaucoup de secteurs certainement vont suivre tel que l’industrie, l’administration, le service public, la justice et les collectivités locales suite à la promulgation de la loi sur la monnaie et du crédit.
L’innovation à travers le Ministère des startups, l’économie de la connaissance et les micros entreprises va jouer aussi le rôle du catalyseur qui permettra de développer des nouvelles solutions et inculquer ce nouveau Mindset «Think out of the box». Il coordonnera avec les différents départements du gouvernement pour mettre en place des lois transverses favorables à l’utilisation de la monnaie électronique.
La monnaie numérique implique également la notion de la souveraineté de l’Etat. Il est vrai que la banque d’Algérie peut compter sur les expériences des autres banques centrales des pays amis proche de l’Algérie notamment BRICS, cependant, nous aurons besoins de nos propres entreprises, ingénieurs «IT» algériens afin de conserver la sécurité nationale.
Un chainon important dans la chaine de valeur est la «formation». Les universités et les écoles devront adapter leurs programmes afin de former des nouvelles générations de développeurs et de financiers pour accompagner cette mutation historique.
Parmi les contraintes réglementaires à lever également, ce sont celles relatives à l’open innovation et l’Open Banking et l’accès des startup et entreprises spécialisées aux grandes entreprises et banques. La révision des lois régissant les marchés publics et la conclusion des partenariats devraient être revus par l’introduction des assouplissements règlementaires afin de permettre aux porteurs des nouvelles technologies d’accéder aux projets.
Y.D.
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