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Mahfoud Kaoubi , économiste, à Algérie Invest : «Avec ou sans les BRICS, l’Algérie a besoin d’un auto-ajustement»

Dans cet entretien, l’économiste souligne qu’il est indispensable de mettre en œuvre dans des délais rapides les réformes de seconde génération qui permettront  à notre pays de se mettre à l’abri des retournements du marché pétrolier et de réduire la vulnérabilité de l’économie. Il considère que le plus important pour l’Algérie est de se réconcilier avec les fondamentaux du marché et les exigences de la bonne gouvernance.

Entretien réalisé par Khaled Remouche

Algérie Invest : Quelle est votre appréciation sur l’orientation des pouvoirs publics en termes d’investissements étrangers particulièrement  vers la Chine, la Russie et la Turquie ?

M. Mahfoud Kaoubi : L’encouragement des investissements directs étrangers ou en partenariat est un axe fondamental de la politique mise en place par les pouvoirs publics pour le développement de l’investissement en général et la stimulation de la croissance en particulier. L’expérience des pays émergents plaide pour l’importance des IDE pour d’une part, diminuer des problèmes du financement de l’investissement et d’autre part, permettre un transfert graduel de technologie. Les exemples de la Chine et de l’Inde sont révélateurs. A partir de cet axiome, la diversification des échanges économiques avec les différentes zones et entre différentes nations demeure un objectif clairement affiché des pouvoirs publics. La preuve, la signature et la mise en œuvre d’accords de partenariat stratégique avec l’Italie, la Russie, la Chine et la Turquie. D’autres accords avec des pays de l’Europe et l’Amérique seront certainement conclus. Cette orientation se veut pragmatique, privilégiant une approche qui se veut efficace à travers la conclusion de joint-venture gagnant-gagnant permettant la diversification de l’économie Algérienne, l’amélioration de sa compétitivité, la création de la valeur ajoutée et de l’emploi. La Chine est un exemple en matière de réussite dans la transformation de son économie. Elle est aussi le deuxième pays au monde en matière d’investissements directs à l’étranger avec un montant qui a dépassé les 280 milliards de Dollars UD pour l’année 2022 (Sources banque Mondiale). La Russie a pu dans des délais très courts réorganiser son économie et développer des secteurs d’une importance capitale tels l’agriculture (céréales notamment), l’industrie pétrolière, gazière, transport, sidérurgie, nouvelles technologies, mécanique, tourisme…… Enfin la Turquie avec une politique ouverte à l’investissement étranger a pu de son côté réussir un pari très difficile d’améliorer  son industrie en volume et surtout en compétitivité avec des taux de croissance assez réguliers.

 Il est donc clair que ces trois pays disposent d’atouts assez intéressants qui s’inscrivent en droite lignes avec les objectifs des pouvoirs publics en matière d’investissement étranger en Algérie.

Comment parvenir à concrétiser les multiples intentions d’investissements enregistrées aujourd’hui tels que les 36 milliards de dollars d’investissements chinois annoncés officiellement ?

Une première génération de réformes a été menée durant les quatre dernières années. Elle a permis de nombreux et précieux ajustements de la sphère juridique et institutionnelle (code de l’investissement, loi monétaire et bancaire, code des marchés publics, finances publics ……). La stratégie de développement économique est clairement affichée par les pouvoirs publics aussi bien en matière de secteurs à développer que de moyens et d’instruments d’encouragement, de développement et de protection de l’investissement résident et non résident.

La deuxième génération de réformes devrait être mise en place dans les meilleurs délais afin de parachever le processus d’ajustement de l’environnement de l’investissement par :

  • L’amélioration de la gouvernance publique ;
  • La matérialisation de la transformation numérique ;
  • La mise en œuvre de la réforme bancaire ;
  • L’unification des marchés (de change, des prix et des services) ;
  • Réhabilitation des logiques de marché et encouragement de la concurrence
  • Réforme profonde de l’administration (organisation, instruments et profils de responsable) et lutte sur le terrain contre la corruption ;

Ce sont ces actions qui pourront améliorer significativement le climat des affaires et réhabiliter les logiques de compétition et de création de valeur.

Ainsi les projets seront mieux conçus, les logiques d’efficacité seront privilégiées et les lourdeurs et autres interférences des centres de décision occultes seront réellement éliminés pour laisser la place à l’édification d’une réelle économie de marché concurrentielle.  L’investissement ira mieux, la décision sera libre, les processus visibles et seuls les résultats départagerons entre les différents acteurs. Ceci se traduira par l’augmentation des volumes des investissements étrangers et les montants n’auront qu’une signification relative, celui de 36 milliards sera réalisé et même dépassé.  Tous les secteurs disposent d’un grand potentiel d’investissement en Algérie, des énergies fossiles au renouvelables, de l’agriculture à l’industrie, du tourisme aux nouvelles technologies, d’énormes réserves sont à explorer et a être traduites en investissement. Le plus important est de se réconcilier avec les fondamentaux du marché et les exigences de la bonne gouvernance.

Pensez-vous à la suite de certains économistes que l’adhésion de l’Algérie au BRICS exigera des transformations de l’économie nationale comparable aux exigences du FMI ?

Les transformations nécessaires pour améliorer de l’organisation et de l’efficacité du fonctionnement de l’économie d’un pays diffèrent d’un pays et d’un autre. Le FMI a son mode opératoire qui se base sur la doctrine libérale qu’épouse cette institution. Les BRICS, contrairement à ce qui est parfois avancé, n’ont pas de critères fixes, détaillés ou des conditionnalités clairement affichées pour l’adhésion à ce groupement. Seulement, pour justifier de la qualité de pays émergent, un seuil minimal en matière d’organisation, d’efficacité et d’efficience en matière de gouvernance publique et de performance économique doit être réuni.

 A ce titre avec ou sans le FMI ou les BRICS, l’Algérie a tout intérêt à opérer un auto-ajustement qui lui permettra à se mettre à l’abri contre un retournement des marchés des hydrocarbures et de réduire de la vulnérabilité de son économie. Ce processus de transformation a été déjà entamé, il est surtout question de l’accélérer et de l’optimiser en tirant profit d’un environnement et d’une conjoncture actuelle que je qualifierai de très opportuns. 

L’adoption de la nouvelle loi sur l’investissement, de la loi sur la monnaie et crédit, du code des marchés publics et prochainement une loi sur le foncier industriel est-elle suffisante pour drainer les investissements étrangers ?

Je pense avoir clairement expliqué plus haut que l’ajustement de la sphère juridique et institutionnelle est important. Néanmoins il demeure insuffisant. C’est pour cela qu’il est indispensable de mettre en œuvre la deuxième génération de réformes. Celles-ci devraient rétablir les signaux, définir les règles de compétition de façon claire et de veiller à leurs respects, rétablir les équilibres budgétaires et se réconcilier avec les fondamentaux du marché et ses logiques privées.

Comment situez-vous les progrès en matière de climat des affaires et les contraintes persistantes à l’investissement national et étranger ?

Les logiques du marché sont des logiques privées, qui nécessitent un Etat juste et Fort. L’amélioration de la gouvernance publique en matière de régulation et de répartition est indispensable pour permettre l’édification d’une économie de marché concurrentiel. Améliorer le  climat des affaires nécessite des ajustements des différents éléments composant l’environnement de l’entreprise et donc de l’investissement (environnement juridique, institutionnel, financier, marché, technologie……). Jusqu’à maintenant l’action a concerné une partie de cet environnement, beaucoup reste à faire il faudra maintenir la dynamique et surtout accélérer le rythme des transformations prochaines.

Que reste-t-il à faire en matière de logistique et de management des projets d’infrastructures ?

D’importants projets sont annoncés dans le domaine des grandes infrastructures et de la logistique où des retards sérieux sont constatés par rapport à ce qui est réalisé dans les pays émergents et surtout par rapport aux besoins d’un développement soutenu de l’économie nationale dans les années à venir (infrastructures portuaires, ferroviaires, routières, eau, énergie……). La question cette fois-ci ne se pose pas en termes de choix ou de priorité comme cela a été le cas jusqu’à présent, mais surtout en termes de formule de réalisation et de gestion de ces infrastructures et des règles d’accès aux services publics.

A mon avis, Il est indispensable d’opter pour des formules telles que le partenariat public-privé (PPP), la concession ou tout autre formule permettant d’assurer une meilleure efficacité et une plus grande efficience dans la réalisation de ces projet et donc de permettre leur rentabilisation de la manière la plus judicieuse. L’expérience a montré que la réalisation de ces grands projets selon des formules classiques confiées à l’administration et financé directement par le trésor était un échec aussi bien en matière de réalisation que de gestion et d’exploitation.

K.R

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