M. Mohamed Saïd Kahoul concernant l’adhésion de l’Algérie aux BRICS : «Il y a eu une précipitation dans cette demande»

Pour le conseiller en management, M. Mohamed Saïd Kahoul, conditions d’intégration aux BRICS « n’ont jamais été définies » par ce groupe pour pouvoir déterminer si l’Algérie est éligible ou pas. Il estime qu’il n’y a eu aucun bilan aujourd’hui sur l’impact économique de cette alliance.
Propos recueillis par : Younès DJAMA
Algérie Invest: L’Algérie a officialisé sa demande d’adhésion au club des BRICS(Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud). Comment voyez-vous cette annonce ? L’Algérie a-t-elle intérêt à intégrer ce groupe ?
M. Mohamed Saïd Kahoul : Les crises mondiales se sont succédé, après la crise sanitaire et le début d’une reprise est venue se greffer une crise politique régionale enfonçant le monde dans une grave crise géopolitique que les pays sous-developpés telle que l’Algérie subissent sans que personne puisse imaginer les vraies conséquences de la sortie.
Je trouve qu’il y a eu une précipitation dans cette demande d’adhésion
Sans que les objectifs ne soient définis d’une manière concrète et mesurable. Les conditions d’intégration n’ont jamais été définies par ce groupe pour pouvoir déterminer si l’Algérie est éligible ou pas, à moins que le critère idéologique suffise pour être membre et là je crois bien que l’Algérie remplit bien les conditions.
Si l’Algérie concrétise son intégration dans le club des BRICS- la Chine et la Russie ayant salué la démarche algérienne-, comment serait sa relation avec les autres membres ?
Il faut noter que l’Algérie a des bons rapports historiques avec l’ensemble des pays membres, ce qui peut faciliter l’intégration de ce club dans l’espoir de renforcer les relations mais sur un espace economique qui, jusqu’au jour d’aujourd’hui, est en notre défaveur. Nos balances commerciales avec les cinq membres sont négatives. Peut-on espérer équilibrer ou renverser cette balance par l’intégration de ce club? Je doute fort parce que non seulement nous n’avons pas leur diversification, ni leurs capacités de production et eux-mêmes se cherchent des marchés pour leur produits. Le temps marin d’au moins un mois nous pénalise par ces coûts.
Nous perdons du temps à chercher des solutions ailleurs pour espérer lancer et diversifier notre economie alors qu’elles sont entre nos mains et à l’intérieur et qu’au lieu de lancer des nouvelles alliances et des partenariats avec l’extérieur après les échecs de l’accord d’associations avec l’Union européenne et la GZALE parce que nous n’avons jamais engagé les réformes profondes nécessaires à la libération de l’entreprenariat productif. Le temps de réaction joue contre nous, nous avons mis trois ans pour mettre en place un nouveau code d’investissement, en trois ans nous n’avons pas réussi à sortir un cahier des charges sur les concessions d’automobiles et aucune banque n’a été privatisée depuis l’annonce par le Premier ministre, alors ministre des finances en décembre 2020 alors des pays comme l’Egypte, l’Afrique du Sud ou le Maroc l’ont fait.
Avec les mutations économiques et le changement de dogmes, quel serait l’avenir du groupe ?
Qu’entendons-nous par mutations économiques et un changement dogmatique ? S’agit-il de sortir de cette globalisation et de sa chaine de valeur internationalisée alors qu’il faut reconnaitre que c’est grâce à elle que sont nés les pays de cet acronyme et d’autres. Ou uniquement la recherche d’un meilleur équilibre entre les puissants mondiaux pour le partage des marchés ? Ma conviction tend beaucoup plus vers le partage des marchés, des centres et surfaces d’influences.
Dans une de vos analyses vous pointez l’absence d’une intégration économique entre les pays du BRICS. Qu’ont-ils en commun finalement ?
Je pense qu’il faut revenir à l’acte de naissance de cet acronyme, (la banque) Goldman Sachs l’a lancé au début des années 2000 devant la forte croissance que connaissaient ces pays dans un objectif mercantile d’orientation des investissements des capitaux des différents fonds dans le monde en valorisant les profits qui peuvent en être tirés. La création officielle ne s’est faite que 10 ans après, à l’initiative expresse de la Chine. Il n’y a eu aucun bilan aujourd’hui sur l’impact économique de cette alliance ou partenariat sur les pays membres, à croire qu’il y a une chape de plomb totale. Chez nous, comme toujours, on se focalise sur le potentiel des cinq pays et ce qu’ils représentent géopolitiquement dans le monde mais jamais sur leur intégration économique et ce qu’elle représente entre eux et son poids mondial alors que les cinq ont une balance commerciale nettement plus grande avec le monde et notamment le G7 qu’entre eux.
L’économie mondiale n’est pas tirée par ces cinq pays, ils se contentent de la soutenir sans l’orienter, elle est tirée par la capacité de consommation des pays du G7.
Après 11 ans de la création de cet acronyme et la création de sa banque dotée d’un capital de 100 milliards de dollars, dont la Chine détient 40% sans pouvoir d’influer sur le vote par sa quote-part, on a bien vu que lors de la crise de la pandémie chacun d’entre eux sans aucune coordination a joué en solo ; de même lors de la reprise post covid, il n’y a pas eu un projet commun coordonné de reprise. Alors que l’UE avec le G7 ont fait face d’une manière coordonnée pendant et après la crise. Entre la Chine, la Russie et notamment l’Inde il y a une rivalité de leadership en Asie et parmi les cinq (pays composant le BRICS) aucun n’accepte d’être le marché des produits chinois, eux qui sont beaucoup plus à la recherche d’investissements pour créer la richesse localement. Mais cette politique d’internalisation n’est pas dans la stratégie chinoise à moins de créer du chômage en Chine et déstabiliser socialement le pays.
Y.D.
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