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Dr Yacine Madouche, maître de conférences en sciences économiques : «BRICS : Un tournant décisif pour une Algérie émergente»

Le groupement des BRICS va bouleverser les équilibres tant géopolitiques qu’économiques, soutient Dr Yacine Madouche pour qui l’Algérie à tout à gagner en se joignant à la Russie, la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, en attendant que d’autres pays déposent eux aussi leurs demand officielle d’adhésion, entre autres l’Arabie Saoudite et l’Argentine. Le triplé AAA, comme l’appelle l’enseignant universitaire, qui considère que l’Occident a tort de voir une faiblesse en cette création d’un pôle que l’on ne peut qualifier que de contrepoids au monde développé. Seuls les futurs pays émergents traînent sur le plan économique notamment mais en agissant ensemble au sein des BRICS, la réalité serait toute autre. pour un lendemain meilleur, Dr Madouche évoque la nécessité pour l’Algérie de diversifier son économie. En tous cas, le chantier est lancé et de grandes réformes sont envisagées. Dr Yacine Madouche est maître de conférences en sciences économiques et membre du LAREMO/UMMTO.

Entretien réalisé par: Hakima Laouli

Algerieinvest : L’Algérie a déposé officiellement sa demande d’adhésion aux BRICS. Pourquoi ce choix et en ce moment précis ?

Dr Yacine Madouche : Dans une interview passée accordée à un de vos confrères, nous avons qualifié l’Algérie de pays habilité à intégrer les BRICS en raison de plusieurs types de complémentarités entre les pays membres.

A notre humble avis, ce choix est motivé par la prise de conscience de saisir l’opportunité à double sens politique et économique. Il s’agit de renforcer sur le plan géopolitique la position de l’Algérie dans la zone MENA comme acteur principal de la garantie de la paix et de la stabilité par voie diplomatique. Il y a aussi la motivation sur le plan  économique qui est de saisir le contexte de crise énergétique impliquant la flambée des prix des hydrocarbures, permettant à l’Algérie de se doter d’une manne financière appréciable à l’avenir. Cette dernière peut constituer un facteur déterminant de l’amélioration de l’attractivité pour les IDE, en particulier ceux des pays membre des BRICS.

En quoi consiste exactement ce groupement dit BRICS?

Le terme BRIC a été inventé par la société d’investissement Goldman Sachs, dans un rapport d’analyse de l’économie mondiale. En effet, le 20 novembre 2001, Jim O’Neill, économiste en chef de Goldman Sachs, a publié un rapport intitulé «le monde a besoin de meilleurs BRICs». Il a fait mention pour la première fois des quatre pays qui sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine dont l’abréviation forme l’acronyme BRIC. Sans doute, O’Neill a voulu jouer avec les mots, car pour construire le grand bâtiment de l’économie mondiale, on a vraiment besoin de meilleures briques.

Plus tard, en octobre 2003, Goldman Sachs a publié un autre rapport intitulé : «Rêver avec les BRICs. Le chemin vers l’année 2050», dans lequel il prévoit que les pays BRICs vont dominer l’économie mondiale. «Le Brésil remplacerait l’Italie en 2025, et dépasserait la France en 2031. La Russie dépasserait le Royaume-Uni en 2027, l’Allemagne en 2028. La Chine dépasserait les États-Unis en 2041 pour devenir la première économie du monde, l’Inde dépasserait le Japon en 2032, etc. En tout, les économies BRICs dépasseraient les six économies occidentales (le G7 moins le Canada) en 2041. Et en 2050, les six premières économies du monde seraient la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon, le Brésil et la Russie. Ce rapport a rendu les pays BRICs célèbres, et les médias internationaux commencèrent à y prêter attention.

Effectivement, depuis quelques années, un nouvel acteur a vu le jour sur la scène internationale: les BRICS, qui non seulement se rencontrent régulièrement dans des instances internationales existantes, mais ont aussi créé des opportunités de rencontres et de coopération internationale institutionnalisées, comme les sommets annuels, les conférences des ministres, conférences des représentants de la sécurité nationale, conférences des chambres de commerce, conférences des institutions de recherche, conférences des dirigeants de la jeunesse, ainsi que des réunions des groupes de travail de toutes sortes.

De plus, les BRICS ont créé des instances internationales de coopération réelle telles la Nouvelle Banque de Développement, avec un capital initial de 100 milliards de dollars, créée en 2017, et un mécanisme contingent de réserves de devises étrangères.

Malgré le pessimisme entourant les perspectives économiques du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (BRICS), le groupement continue d’attirer beaucoup d’attention comme source potentielle de politiques concertées de contrepoids au monde développé, à l’exemple du groupe G7.

Les  BRICS se sont positionnés comme des pays capables de maintenir des niveaux très élevés de croissance économique sans dépendance excessive des pays développés. Ils affirment également incarner la promesse d’une politique étrangère et de stratégies de sécurité indépendantes, basées sur leur compréhension particulière de l’intérêt national, et à chercher à rallier autour d’eux un groupe de pays en voie de développement qui sont dans le processus de choisir entre une alliance avec l’Occident (G7) et des stratégies économiques et diplomatiques largement autonomes (BRICS).

Il est à signaler que les chiffres avancés ci-dessus ne sont que des prévisions. D’autres événements ont changé la donne, à l’exemple de la crise de la Covid 19. La tendance reste toutefois plausible avec la crise russo-ukrainienne impliquant la crise énergétique dans l’espace UE, ce qui a amené des membres de l’UE tel que l’Allemagne à se distinguer par sa propre stratégie énergétique (200 milliards de dollars) et un plan d’armement propre (100 milliards de dollars). Tout cela, ce n’est qu’une annonce d’une éventuelle récession économique mondiale que les pays de premier rang économique et géopolitique peuvent empêcher par voie de la raison et de négociation pour dénouer les conflits entre eux (Chine-USA-Russie-UE).

Que va apporter cette adhésion aux BRICS à l’Algérie sur les deux plans politique et économique ?

Sur le plan politique, l’Algérie gagnera en visibilité dans l’arène des relations internationales. Notre pays est un acteur majeur dans l’organisation des non alignés à l’époque de la guerre froide. Cela n’impliquera pas la continuité de tisser des relations de partenariat avec les pays occidentaux que soient européens ou américains. Le choix est fait en attendant l’acceptation par les BRICS de la demande algérienne, sachant que d’autres pays de la zone MENA ont la volonté d’intégrer ce groupement. Il est à signaler que la zone MENA (dite aussi monde Arabe) représente presque l’équivalent de l’UE en terme de démographie (environ 400 millions d’habitants).

Des pays de la zone MENA et d’ailleurs, entre autres l’Arabie Saoudite et l’Argentine?

Ah oui ! Ce sera les trois A. Le groupement des BRICS est sur la perspective de conquête de son triplé AAA (Algérie, Arabie Saoudite et Argentine). Evidemment, il y a encore d’autres pays qui veulent adhérer et d’autres qui suivront.

Pour revenir à la question précédente, il faut savoir que pour la Chine, membre dominant des BRICS et dans le monde, la dimension démographique du groupement est un atout pour ses débouchés sur les marchés aval. Par ailleurs, sur les marchés amont, un certain nombre de pays dont l’Algérie va constituer une sécurité d’approvisionnement en matières premières dont le pétrole et le gaz et les minerais a bon marché.

En résumé, bénéficier de l’expérience des pays émergents est un atout stratégique pour un pays comme l’Algérie. Certes, d’un point de vue occidental, les BRICS, ce n’est que faiblesse. Implicitement, ce n’est qu’un refus d’admettre qu’en dehors des démocraties dites occidentales, d’autres pays ont réussi à relever le défi de connaître l’émergence avec des systèmes politiques qui ne ressemblent pas aux leurs.

Malgré les faiblesses actuelles, tant sur le plan économique que commercial intra-groupe BRICS, le groupement en s’élargissant à d’autres adhésions dans un futur proche, comme nous venons de le souligner, va bouleverser les équilibres tant géopolitiques qu’économiques. Il sera opportun pour l’Algérie d’en saisir l’occasion de diversifier son économie, sachant que le grand chantier des réformes structurelles sont à envisager, à savoir : les mécanismes de gouvernance des EPE, le secteur bancaire et financier, la marché de change, la bourse d’Alger, les secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique…).

Quelles sont justement les chances d’aboutissement de la demande algérienne ?

Tout simplement, à notre sens, elle sera effective car les deux principaux pays qui sont la Chine et la Russie ont salué vivement une telle demande.

Il est à savoir que l’Algérie a besoin des BRICS comme levier de croissance hors hydrocarbures. L’Inde et la Chine pour ce qui est des investissements dans les nouvelles technologies, la Russie dans le secteur agricole car sous les sanctions, la Russie a relevé le défi de passer du statut d’un pays importateur de blé au statut de pays exportateur de blé (sur ce, un référent historique pour l’Algérie qui était par le passé le grenier de l’Europe en blé). Serions-nous capables de relever ce défi de redevenir à nouveau ce grenier? Voilà,  comment se poser de bonnes questions au sens prospectif dans le cadre des stratégies globales à long terme.

Et les BRICS ont ils besoin de l’Algérie ?

Les BRICS ont aussi besoin de l’Algérie comme fournisseur des matières premières dont les hydrocarbures et les terres rares (réserves appréciables), mais aussi comme un partenaire commercial de premier rang en raison de sa position géographique de la zone euro-méditerranéenne et constituant une porte pour les pays d’Afrique centrale.

Pour comprendre l’enjeu d’élargir les BRICS à d’autres membres, il suffit de lire dans les grandes mutations qui s’annoncent sur les plans : géopolitique (un monde multipolaire), économique (Brics comme rival du G7), technologique (partage des compétences entre G7 et Brics : 5G, voiture électrique, robotique), et démographique (Brics représente plus de la moitié de la population mondiale).

Dans ce sens, l’Algérie a procédé à la signature de partenariats stratégiques dans le contexte de crise russo-ukrainienne, à priori avec l’Italie dans une approche gagnant-gagnant, notamment dans le secteur énergétique et industriel, suivi par la signature d’un nouveau partenariat de stratégie globale avec la Chine 2022/2026, consolidant la vision des deux pays au sujet de la nouvelle route de la soie.

H. L.

North Africa Energy & Hydrogen Exhibition and Conference
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