«L’Algérie vise la fourniture de 10% de la demande européenne en hydrogène vert» (Dr Abdelhamid M’Raoui, chercheur au CDER)

Le marché de l’hydrogène vert n’existe pas, affirme le directeur de la Division hydrogène renouvelable au centre de développement des énergies renouvelables. Son déploiement est tributaire du développement de solutions techniques liées à son stockage et son transport.
Pour l’Algérie, le potentiel est énorme : une ressource renouvelable très abondante et à moindre coût. Le développement de la filière hydrogène vert apportera une grande contribution au développement de l’économie nationale, de manière durable. Des investissements doivent être effectués et des moyens de transport doivent être disponibles.
Dans cet entretien, le spécialiste en physique énergétique revient sur l’évolution des technologies de l’hydrogène à travers le monde et les perspectives de développements futurs. Il estime que les échanges commenceront à partir de 2030, marquant ainsi la naissance du marché de l’hydrogène vert.
Entretien réalisé par : Karima Mokrani
Algerieinvest : Comment appréciez-vous l’évolution du marché de l’hydrogène dans le contexte actuel de crise mondiale de la sécurité énergétique ?
Abdelhamid M’Raoui : Actuellement, le marché de l’hydrogène vert n’existe pas, principalement l’hydrogène produit dans les projets de démonstration est consommé sur place. Nous citons, à titre d’exemple, le projet de fabrication de méthanol vert en Island, le projet de e-carburant au Chili et le projet d’injection d’hydrogène vert dans une turbine de production d’électricité aux Emirats Arabes Unis.
Il existe quelques projets en cours de réalisation afin de commercialiser l’hydrogène vert en Europe et l’initiative allemande de rachat de l’hydrogène vert et sa revente au prix de l’hydrogène gris. Nous sommes au début des initiatives et les différentes feuilles de route affichées par les Etats traduisent leur volonté de transition énergétique.
Dans quelques années nous verrons des mécanismes se mettre en place et un véritable échange aura lieu. Il faut savoir que la certification verte n’existe pas. Certains industriels considèrent que l’utilisation de 70% d’EnR dans le bilan de production est tout à fait acceptable. D’autres utilisent des systèmes de production 100% EnR. Coordonner les efforts sans imposer trop de contraintes dans l’objectif de réduire les émissions de carbone et atteindre la neutralité reste à faire.
Comment voyez-vous l’évolution du marché dans les prochaines années ? Quels sont les défis à relever pour son déploiement à grande échelle ?
La majorité des industriels se donnent le temps de résoudre tous les problèmes de logistique d’ici à 2030. Le déploiement de l’hydrogène se fera à partir de 2030, le temps de trouver toutes les solutions techniques liées au stockage et le transport de l’hydrogène vert. Ce n’est qu’à partir de 2030 qu’un réel marché de l’hydrogène offrant un confort d’utilisation presque semblable à celui des énergies conventionnelles sera mis en place progressivement. Il faut savoir que certains pays ont affiché, dans leur stratégie nationale, la volonté d’utiliser l’hydrogène vert produit localement, alors que d’autres prévoient son importation, car la production locale serait insuffisante.
Le développement d’un marché de l’hydrogène vert dépendra fortement des solutions technologiques qui seront disponibles et des technologies de conversion offertes aux utilisateurs. L’hydrogène sera utilisé principalement pour le transport longue distance où il sera contraignant d’utiliser la locomotion électrique, ainsi que les transports collectifs. Les utilisations industrielles se développeront progressivement selon l’adoption des principes de la chimie verte par les industriels.
Comment décrivez-vous le cas Algérie ? Quels sont les projets actuels en la matière ?
L’Algérie à travers l’annonce de sa feuille de route a affiché la volonté de s’inscrire dans une transition énergétique plus respectueuse de l’environnement. Étant donné que notre pays dispose d’une ressource renouvelable très abondante et à bas coût, il est très intéressant de produire de l’hydrogène aussi bien pour les utilisations locales que pour l’exportation.
Diverses utilisations locales sont visées principalement dans le domaine de la chimie verte et la locomotion collective. La règlementation doit être adaptée et des protocoles de sécurité doivent être dispensés. La production d’hydrogène vert pour l’export est aussi envisagée, en partenariat avec certains pays qui ont pour objectif de décarboner leurs industries. À long terme, l’Algérie vise la fourniture de 10% de la demande européenne en hydrogène vert. Des investissements doivent être effectués et des moyens de transport doivent être disponibles. Les infrastructures doivent être mises en place aussi bien du côté algérien que du côté européen. L’hydrogène n’a pas les mêmes propriétés que le gaz naturel, des infrastructures dédiées doivent être réalisées.
Quels seraient les impacts environnementaux et sociaux de son utilisation ?
La réduction de la pollution atmosphérique est le premier avantage de l’utilisation de l’hydrogène, car sa combustion ne génère que de l’eau. La qualité de l’atmosphère dans les grandes villes qui utilisent beaucoup les transports en commun sera bien meilleure. La santé des citoyens se trouvera grandement améliorée. Sans parler des autres avantages liés à l’absence de particules fines dues à la combustion des moteurs diesels.
La nouvelle filière hydrogène permettra une création d’emplois dans divers domaines. La recherche & développement jouera un rôle très important dans l’émergence de cette technologie. Un effort continu d’innovation et de maîtrise technologiques sera nécessaire. Les idées novatrices seront concrétisées et des PME/PMI dans le domaine verront le jour. La dynamique induite par cette nouvelle filière permettra de stimuler l’économie de manière durable.
Le CDER est-il mis en réseau avec les universités du pays, mais aussi avec les chercheurs algériens installés à l’étranger (et d’autres chercheurs étrangers) afin de travailler ensemble dans ce domaine ?
Le Centre de développement des énergies renouvelables a organisé un premier workshop en 2006 sur l’hydrogène. Par suite de cette initiative, les workshops de 2008 à Ghardaïa, 2010 au Maroc et 2012 en Tunisie ont été organisés afin de promouvoir la collaboration entre les différentes équipes de recherche nationales et internationales. L’activité s’est enrichie aussi par l’organisation de l’International Symposium on Sustainable Hydrogen en 2016, puis 2017 et enfin 2019.
D’autres manifestations sont prévues, de plus grande ampleur, afin de permettre le rapprochement entre les chercheurs nationaux et étrangers. Des spécialistes de la thématique sont invités à propager le savoir et les dernières avancées dans la recherche.
Vous êtes directeur de la Division Hydrogène renouvelable au Centre de développement des énergies renouvelables (CDER) depuis 2020. Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
J’ai rejoint le centre de développement des énergies renouvelables en 2001. Depuis, j’exerce en qualité de chercheur permanent. J’ai commencé à travailler sur l’hydrogène dès le début de ma carrière. C’était une nouvelle technologie qu’on devait maîtriser et qui avait un grand potentiel. Les technologies de l’hydrogène ont beaucoup évolué depuis et les perspectives de développements futurs sont très prometteuses.
La division hydrogène a été créée en janvier 2013, issue de la volonté de rassembler les différentes équipes qui activent dans la thématique en une seule entité afin de coordonner leurs efforts. Des travaux de recherches coordonnés ont été entamés et une évolution de l’activité a eu lieu durant les années qui suivent. En 2020, j’ai été nommé Directeur de Division afin de continuer le travail qui a été entamé selon les nouvelles orientations du CDER et de la DGRSDT (Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique).
K. M.
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