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Dr Yacine Madouche, maître de conférences en sciences économiques : «Réfléchissons à introduire le découvert sur les cartes CIB»

Un découvert à hauteur de 20% du salaire. Ce sera dans le double objectif d’améliorer le pouvoir d’achat des algériens dans un contexte inflationniste mondial et accélérer par la même le processus de digitalisation et le paiement électronique. Dr Yacine Madouche salue l’annonce des augmentations de salaires pour les années 2023 et 2024, considérant que ce sont des réajustements macroéconomiques nécessaires. Les réserves de change vont aussi en augmentant. Il n’empêche que l’Etat doit multiplier encore les efforts pour augmenter ses exportations hors hydrocarbures, consacrer tout un budget à leur promotion de façon à atteindre, en 2030, le montant de 20 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures mais aussi continuer à travailler sur le développement du tissu industriel national. Il ne faut pas voir ces réserves de change comme un levier de régulation des dépenses de l’Etat, dans les chantiers d’infrastructures et dans la politique de protection sociale, avertit Dr Madouche.

Entretien réalisé par: Hakima Laouli

Algerieinvest : Le gouverneur de la Banque d’Algérie, M. Salah Eddine Taleb, a annoncé un montant de 60 milliards de dollars de réserves de change. Quelle lecture en faites-vous ?

Dr Yacine Madouche : Ces réserves sont appelées à se consolider, à aller en augmentant, d’’autant que l’Algérie s’oriente vers les énergies propres alternatives, en plus de ce que nous avons comme énergies fossiles en exportation. Exporter de l’électricité va générer du cash pour nous, ainsi que l’énergie propre à base d’hydrogène. Ce sera encore plus intéressant de se pencher sur les performances en exportation hors hydrocarbures.

Justement, le marché des énergies fossiles n’est pas vraiment sûr

Le marché est volatile. A l’horizon, il y a le plafonnement des prix du gaz et du pétrole. Aussi, nous sommes exposés à des risques exogènes dont nous n’avons pas la maîtrise. D’où la nécessité de travailler en endogène nos capacités orientées vers l’exportation hors hydrocarbures. Cela va donner des assises pour une industrie assez intégrée, la complémentarité entre les différentes filières, en travaillant sur la l’approche filière amont/aval mais aussi un commerce intra-filières et inter-filières. Si nous prenons l’exemple de la sécurité alimentaire, c’est un enjeu majeur pour toutes les nations, pas uniquement l’Algérie. Sur le plan sécurité énergétique, nous sommes une économie d’offre de cette énergie, notamment dans notre bassin euro-méditerranéen.

Et puis, cela renvoie au tissu industriel. Inciter le consommateur algérien à consommer national, d’autant que l’’État a fait l’effort de réajuster les salaires face à une inflation de plus en plus présente qui n’est pas liée uniquement aux facteurs internes mais également à une conjoncture internationale. L’inflation est mondiale. D’une manière ou d’une autre, nous serons toujours exposés à ce risque inflationniste.

Parlant des augmentations de salaires, qu’en pensez-vous en votre qualité d’économiste ?

Une révision annuelle des salaires, c’est une très bonne chose. Ce sont des réajustements macroéconomiques nécessaires. L’année dernière, ils ont agi sur le nombre de points. Cette fois-ci, c’est sur la valeur de l’indice.

Moi, je pense à une solution qui est assez pratique, soutenable et durable. Instaurer le découvert sur les cartes CIB, dédié exclusivement aux achats par paiement électronique. Réfléchissons à introduire ce fameux découvert sur la carte CIB. Un découvert à hauteur de 20% du salaire. Nous aurons un double effet : renforcer le pouvoir d’achat des ménages et encourager le paiement électronique. Le découvert est un pouvoir d’achat, une création monétaire. L’Etat ne débourse rien, il ne va pas puiser dans les réserves de change ou le Trésor public ni dans sa planche à billets.

En installant le découvert via les cartes CIB, nous aurons à la fois à répondre à une demande sociale en termes de prise en charge de la faiblesse du pouvoir d’achat et accélérer le processus de paiement électronique. Nous aurions agi sur deux domaines, efficacement et durablement.

Et pas de risque d’épuisement des réserves de change ?

Absolument. Pour ce qui est de ces 60 milliards de dollars de réserves de change, je pense qu’une bonne partie doit être réorientée vers l’investissement dans le domaine qui les a générées, en l’occurrence le secteur énergétique aussi bien hydrocarbures et énergies renouvelables. Une autre partie sera mobilisée pour le développement de tout ce qui est hors hydrocarbures, à commencer par l’agriculture et les industries agroalimentaires.

L’année 2022 se termine avec un chiffre de 7 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures

Nous sommes à 7 milliards dollars et l’objectif arrêté pour 2030 est de 20 milliards de dollars. C’est une excellente chose mais il faudra vraiment travailler sur cela. Les pays qui sont exportateurs tels que la Turquie, ont un budget de promotion des exportations à hauteur de 2 milliards de dollars annuellement.

Et nous, quelle est la quote-part dédiée à cela ? Elle est minime. Quel est le budget dédié à la formation professionnelle ? Quel est le budget dédié à l’enseignement supérieur ? La santé et le domaine pharmaceutique ? Le statut particulier du personnel hospitalo-universitaire et le paramédical ? Il est plus qu’urgent de se pencher sur cette question sinon, nous aurions de sérieux problèmes dans le prochain quinquennat. Voir des centaines de milliers de médecins quitter l’Algérie. Sans parler de notre statut à nous, les universitaires et autres corporations.

Nous avons 60 milliards de dollars, c’est rassurant. Cela nous permettra de soutenir la batterie de décisions portant sur les augmentations des salaires, de l’allocation chômage et des pensions de retraite. Il faudra toutefois tenir compte d’un risque de retour de conjoncture à cause des incertitudes sur le marché des hydrocarbures. Il faut rentabiliser et fructifier ces réserves de change. Il ne faut pas voir ces réserves de change comme un levier de régulation des dépenses de l’Etat, dans les chantiers d’infrastructures et dans la politique de protection sociale.

H. L.

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