Loi sur la monnaie et le crédit : Analyse de l’économiste Farouk Nemouchi

Le projet de loi sur la monnaie et le crédit, soutient le spécialiste, introduit des changements notables, tels que les dispositions visant le renforcement de la gouvernance de la Banque d’Algérie et l’élargissement des prérogatives du Conseil de la monnaie et du crédit, ainsi que celles de la Commission bancaire.
Aussi, il considère que la création du Comité de stabilité financière est une démarche salutaire. De même, c’est la première fois que l’autorité monétaire se dote d’une instance qui est appelée à élaborer un projet de stratégie nationale de développement des moyens de paiements scripturaux et promouvoir l’inclusion financière, en l’occurrence, le Comité national de paiement.
M. Nemouchi s’interroge toutefois sur la marge de manœuvre dont dispose le Conseil de la monnaie et du crédit en ce qui concerne notamment l’inflation et le taux de change. Aussi, fait-il observer, il y a encore risque de perpétuer la subordination de la politique monétaire à la politique budgétaire du fait que le nouveau texte, précisément dans son article 47, prévoit que la Banque d’Algérie peut consentir une avance au Trésor public, en cas de crise exceptionnelle et imprévisible.
Entretien réalisé par : Hakima Laouli
Algerieinvest : Quelle est votre lecture du projet de loi sur la monnaie et le crédit? Les dispositions introduites répondent-t-elles au grand besoin d’améliorer l’écosystème monétaire et financier en Algérie?
M. Farouk Nemouchi : Le projet de loi monétaire et bancaire représente la troisième tentative de mise en place d’un dispositif juridique pour construire un système financier au service de la croissance économique et de la stabilité monétaire. Le nouveau texte présenté comme un évènement majeur, fera-t-il exception en réussissant la gageure de transformer un système monétaire et financier qui demeure toujours marqué par de multiples archaïsmes dans son organisation et dans son fonctionnement durant des décennies ? Il serait prétentieux de penser que cette nouvelle loi va agir comme une baguette magique en transformant le paysage financier et apporter des solutions à de graves déséquilibres macro-financiers structurels.
Cette nouvelle loi est opportune si elle freine l’inflation, stabilise le taux de change du dinar et le met au service de la croissance économique, capte l’argent qui circule dans le secteur informel, confère une relative indépendance à l’autorité monétaire vis-à-vis de l’exécutif, met fin au marché noir de la devise. Elle doit aussi neutraliser la volatilité des revenus des hydrocarbures sur les équilibres monétaires, assurer la promotion de sources de financement non inflationnistes, limiter les effets négatifs d’une politique budgétaire expansionniste sur la politique monétaire. Elle doit pouvoir participer au développement des marchés financiers.
C’est autour de ces problématiques et tant d’autres qu’il convient d’engager un large débat pour déterminer et hiérarchiser les réformes qui s’imposent et qui seront ensuite prises en charge par des textes de lois et règlements. Le nouveau projet de texte introduit des changements notables tels que la volonté exprimée de conforter la stabilité de l’instance dirigeante sur le plan institutionnel et la création de nouvelles instances tels que le comité de stabilité financière et le comité national des paiements.
Une loi n’a de sens que si les conditions de sa mise en œuvre sont réunies pour transformer l’écosystème monétaire et financier en Algérie, en agissant sur les dysfonctionnements structurels qui affectent la sphère monétaire.
Justement, que pensez-vous des dispositions visant le renforcement de la gouvernance de la Banque d’Algérie, ainsi que l’élargissement des prérogatives du Conseil de la monnaie et du crédit ?
En matière de gouvernance de la banque d’Algérie, il y a lieu de distinguer entre le conseil d’administration et le conseil de la monnaie et du crédit. Le conseil d’administration est chargé de gérer la banque d’Algérie en tant qu’établissement régi par la législation commerciale.
Le conseil de la monnaie et du crédit (CMC) représente l’autorité monétaire dont la mission principale est de définir, de conduire et d’évaluer la politique monétaire. Pour juger des dispositions relatives au renforcement de la gouvernance de la banque d’Algérie, il s’agit de savoir si la LMB (loi monétaire et bancaire) va dans le sens d’une plus grande indépendance, tant sur le plan organique que sur le plan fonctionnel. Sur le plan organique, la LMB opère un retour en faveur d’une plus grande stabilité de la direction de la banque d’Algérie, en fixant le mandat du gouverneur et des deux vice-gouverneurs pour une durée de quatre ans et renouvelable une seule fois. Sur le plan fonctionnel, toute la question est de savoir si le CMC dispose de la marge de manœuvre pour atteindre ses objectifs monétaires, notamment dans le domaine de l’inflation et du taux de change.
La nouvelle loi met-elle fin aux interférences de l’exécutif qui se traduisent par la subordination de la politique monétaire à la politique budgétaire qui a provoqué au cours des deux dernières décennies de graves déséquilibres macro-financiers ? Pour sortir de cette impasse, il a fallu recourir à la planche à billets. Il faut reconnaître que le projet de loi maintient le statu quo sur cette question puisqu’il abroge l’article 45 bis de la précédente ordonnance et le remplace par l’article 47 qui stipule que la Banque d’Algérie peut consentir une avance au Trésor public, en cas de crise exceptionnelle et imprévisible.
Qu’en est-il de l’institution d’une Commission bancaire, d’un Comité de stabilité financière et d’un Comité national des paiements ?
L’élargissement des prérogatives de la Commission bancaire et la création d’un Comité de stabilité financière et d’un Comité national des paiements renforcent le potentiel de surveillance des établissements financiers pour une meilleure gestion des risques et une plus grande anticipation des crises financières.
La Commission bancaire est l’autorité de supervision qui veille au respect strict de la règlementation micro-prudentielle par chaque établissement financier, à l’effet de réduire l’exposition au risque de crédit et de liquidité et éviter le gonflement des créances non performantes. Etant donné les limites de la surveillance micro-prudentielle, il est prévu la mise en place d’un Comité de stabilité financière dont la mission est d’assurer la sécurité de tout le système financier, en appliquant une politique macro-prudentielle. Il s’agit de prévenir et de gérer le risque systémique inhérent à des facteurs endogènes ou à des chocs externes. C’est un sujet de grande actualité quand on sait que la liquidité bancaire en Algérie est soumise à des mouvements erratiques de grande ampleur.
Cette instabilité, devenue chronique, affecte gravement l’activité bancaire. Elle se traduit par une absence de visibilité préjudiciable à la politique de crédit, en faveur des entreprises, notamment dans le domaine de la gestion des risques et des contraintes imposées par la règlementation prudentielle. L’évolution chaotique de la liquidité bancaire engendre des incertitudes qui pourraient expliquer pourquoi les banques, en dépit d’une liquidité excédentaire, sont réticentes à accorder leurs concours à l’économie.
En 2021, alors que la liquidité s’est accrue de 107,5%, les crédits à l’économie ont chuté de 12,4% et la part des crédits à moyen et long terme affectés aux investissements a baissé de -21,9%. A l’inverse lorsque les banques sont confrontées à un besoin de liquidité, elles se tournent vers la banque centrale pour obtenir des crédits de refinancement. La création du Comité de stabilité financière est donc une démarche salutaire qui conforte le système financier et contribue à la croissance économique.
La troisième structure prévue par la LMB est le Comité national de paiement. C’est la première fois que l’autorité monétaire se dote d’une instance qui est appelée à élaborer un projet de stratégie nationale de développement des moyens de paiements scripturaux et promouvoir l’inclusion financière. Selon le rapport FINDEX publié par la banque mondiale en 2021, 56% de la population algérienne adulte est exclue du système financier et pour les femmes, le taux est de 69%.
L’exclusion financière explique, dans une certaine mesure, l’incapacité de tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis des lustres, à mobiliser l’argent en circulation pour le canaliser vers les institutions financières, en s’appuyant sur la numérisation et la digitalisation des moyens de paiement. La dernière mesure prise dans ce sens est l’émission du dinar numérique qui représente une nouvelle forme de la monnaie fiduciaire. Le développement des instruments de circulation de la monnaie scripturale est un grand défi car la monnaie qui échappe au secteur bancaire, de l’ordre de 33,15% du total de la masse monétaire à fin juin 2022, constitue une grave menace pour le système financier.
Pour terminer, que préconisez-vous pour une dynamisation réelle de la Bourse d’Alger ?
Pour financer leur croissance, les entreprises sont incitées à s’introduire en bourse pour mobiliser les ressources financières dont elles ont besoin. Il existe donc une relation forte entre la croissance économique et l’approfondissement des marchés financiers. Après plus de 20 années d’existence, la bourse d’Alger enregistre la cotation de 5 entreprises et une capitalisation boursière qui est toujours inférieure à 1% du PIB.
La volonté affichée de faire des entreprises publiques le fer de lance de la bourse d’Alger a fait abstraction d’un environnement qui ne les prédispose pas à s’inscrire efficacement dans cette perspective. Le mode d’organisation et de gestion des entreprises publiques et le soutien apporté par l’Etat, durant de nombreuses années à travers les politiques de subvention, ont freiné l’émergence d’un management créatif, inhibé l’esprit entrepreneurial et engendré des comportements d’aversion au risque. La bourse a pour fonction de répondre aux besoins de financement des entreprises qui visent la croissance et la rentabilité et non pas pour combler un déficit de trésorerie ou se désendetter. Le développement des marchés financiers et l’esprit rentier ne font pas bon ménage.
Quant au secteur privé national, de multiples raisons justifient amplement le désintérêt des patrons pour la bourse. Avec des ambitions industrielles limitées et une taille plus que modeste, il se concentre dans les secteurs à faible valeur ajoutée et demeure sous-développé sur les plans technologique et organisationnel. Largement dominé par des entreprises de type familial, il n’est pas imprégné de la culture de l’actionnariat.
C’est la faiblesse structurelle de l’économie de production qui est, en partie, la cause du sous-développement de l’intermédiation financière et de la bourse d’Alger.
H. L.
Excellente interview réponses très didactiques, assorties d’une analyse et synthèse pertinentes. En terme de mobilisation des ressources longues et de dynamisation de la bourse un petit mot relatif au secteur des assurances aurait parfaitement complété l’article
Merci Monsieur Othmani pour votre commentaire et encouragements.
Nous vous sollicitons pour un entretien. Vos analyses sont très pertinentes et réalistes, nous aimerions les partager avec nos lecteurs.