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L’expert pétrolier Saïd Beghoul : «Il va falloir exporter autre chose que les hydrocarbures»

Propos recueillis par : Younès Djama

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés, OPEP+, ont décidé mercredi 5 octobre, lors de leur 33ème réunion ministérielle, tenue à Vienne, de baisser la production pétrolière totale de l’alliance de 2 millions de barils/jour en novembre prochain.  Ancien directeur Exploration (région Est) à Sonatrach, l’expert pétrolier, Saïd Beghoul, explique dans cet entretien les raisons d’une telle décision et ses incidences notamment sur les prix. Selon lui, l’envolée des prix est pour l’Algérie certes une embellie mais, prévient-il, cette situation favorable ne doit pas être prise comme une «bouée de sauvetage». Il exhorte à songer sérieusement à s’extirper de la rente alors que «le potentiel pétro-gazier prouvé du pays ne suffira plus qu’à satisfaire les besoins internes». Entretien.    

Algérie Invest : Dans quel contexte intervient cette décision et quels sont ses incidences sur les prix ?

M. Saïd Beghoul: La décision «surprise», mais justifiée, de l’OPEP+ de faire une coupe de 2 millions b/j pour le mois de novembre 2022 est motivée par le fait que la réduction pour le mois d’octobre (100 000 barils) s’est avérée très insuffisante pour équilibrer le marché devant la persistante de facteurs baissiers, comme la crainte d’une récession, la bonne tenue du dollar, l’incertitude sur la demande chinoise, voire une anticipation pour pallier l’éventuel déficit du marché dès l’entrée en vigueur de l’embargo européen sur le pétrole russe à partir du 5 décembre 2022 et qui pourrait faire chuter la production russe d’environ 2 millions b/j justement, etc. Il s’agit d’une décision à caractère économique mais aussi technique étant donné que beaucoup de pays de l’organisation ne produisent pas leurs quotas alloués et cette coupe va leur permettre de produire à leurs pleines capacités. Ces raisons écartent le caractère politique de cette décision car il s’agit d’avoir des prix qui peuvent couvrir l’inflation et soigner la balance commerciale, notamment dans les pays membres rentiers où les hydrocarbures assurent l’essentiel des revenus et qui importent des produits, désormais rares et chers, à coup de dizaines de milliards de dollars par an.

La hausse prévue des prix va-t-elle se poursuivre ou sera limitée dans le temps. Dans les deux cas de figure, pourquoi ?

Entre le 30 septembre dernier quand on a commencé à envisager une profonde coupe de l’OPEP+, et le jour de la réunion, le prix du baril a gagné une dizaine de dollars (passant de 84 à 94 dollars), soit un saut de 12 % en l’espace de 5 jours. C’est un saut quantitatif important, certes, mais c’est une réaction classique du marché. Dès lors que le marché a consommé la nouvelle, les prix ne vont plus grimper à ce taux. Mais, tout porte à croire qu’à l’approche de la fin de novembre 2022, les prix peuvent s’installer dans le «three digits» si les Européens maintiennent leur embargo sur le brut russe à partir du 5 décembre et sur les produits raffinés à partir du 5 février 2023. En revanche, il faut noter que des concessions de l’Occident avec l’Iran restent un scénario possible pour débloquer le dossier nucléaire et permettre au pétrole iranien de revenir sur le marché pour faire baisser les prix.

Le président américain s’est dit « déçu » par la décision à courte vue de l’OPEPde réduire les quotas de production, laissant entendre qu’il y a une arrière-pensée politique de la Russie. Comment interprétez-vous la réaction US? 

C’est normal que pour Biden la décision de l’OPEP+ soit une mauvaise surprise, qu’il considère d’ailleurs comme une « vision myope » et orchestrée par la Russie et ses alliés de l’OPEP+ et l’Arabie saoudite en particulier, à des fins politiques au moment même où il envisage, avec les Européens et le groupe du G7, de plafonner le prix des hydrocarbures russes pour affecter le budget de guerre (en Ukraine) de Poutine. Mais le souci majeur de Biden est ailleurs : il réside dans le fait qu’il cherche à pallier la hausse des prix à la pompe pour estomper la colère des Américains à seulement un mois des élections de mi-mandat, prévues pour le 8 novembre 2022. Il se peut donc qu’il aille puiser dans ses stocks stratégiques pour enrayer cette envolée des prix. L’Administration américaine pourrait aussi remettre sur la table le dossier «NOPEC» (loi antitrust pénalisant ou menaçant l’existence de l’OPEP) mais aussi celui des relations historiques avec l’Arabie saoudite (depuis le pacte du Quincy en 1945).

Comment l’Algérie peut-elle capitaliser sur la remontée des prix ?

Comme tous les pays rentiers, l’Algérie va essayer de soigner ses voyants économiques en cette période assez particulière en améliorant d’abord sa balance commerciale dont l’excèdent se situerait autour d’une quinzaine de milliards de dollars en août 2022, et qui pourrait, si les prix se maintiennent, atteindre une vingtaine de milliards de dollars à fin 2022. Ce qui serait, en second lieu, une très bonne opportunité pour le pays de reconstituer ses réserves de change sachant que le prix de référence du baril pour l’exercice 2022 est de 45 dollars avec un prix du marché de 50 dollars. Il faut rappeler qu’entre 2014 et 2018 notre balance commerciale a connu un déficit moyen de 13 milliards de dollars, ne couvrant que 70% des importations. Mais, cette dernière embellie ne doit pas être prise comme une véritable bouée de sauvetage. Les pouvoirs publics doivent songer sérieusement à s’extirper de la rente car, dans une petite dizaine d’années, toutes choses égales par ailleurs, le potentiel pétro-gazier prouvé du pays ne suffira plus qu’à satisfaire les besoins internes. Il va falloir exporter autre chose que les hydrocarbures pour nourrir 50 millions de bouches.

Y.D.

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