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Dr Sofiane Guermouche, expert en économie : «Il faut prévoir des niches pour l’excédent financier»

L’Algérie est en train de recouvrer sa santé financière grâce notamment à l’augmentation des prix des hydrocarbures et de la valeur du dollar, ainsi que la régression positive de l’inflation à la faveur des réformes économiques engagées, soutient Dr Guermouche pour qui la révision du code des investissements apporte beaucoup pour l’entreprise et l’entrepreneuriat. Il souligne la nécessité que cela soit suivi par la réforme de la loi sur la monnaie et le crédit, ainsi que le code fiscal.

Dans le présent entretien, le spécialiste en économie politique affirme avec certitude que le pays est gagnant. Des exportations en dollar et des importations qui se font, pour la plupart, en euro. Il y a un excédent financier, insiste-t-il. C’est une bonne chose mais a-t-on prévu comment le dépenser ? Comment l’investir ? interroge-t-il. Pour Dr Guermouche qui rappelle l’aisance financière de 2013, avec des réserves de changes de plus de 200 milliards de dollars, il est absolument nécessaire et urgent de  prévoir un plan économique et définir des niches pour empêcher une nouvelle crise financière dans le pays.

Entretien réalisé par: Hakima Laouli

Algerieinvest : D’après les chiffres avancés par le ministre des Finances, Brahim Djamel Kassali, l’année 2023 sera nettement meilleure. Pensez-vous que c’est la conséquence directe de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz sur le marché international suite notamment au conflit Russie-Ukraine ?

Dr Sofiane Guermouche : C’est une nouvelle donne politique qui a chamboulé tout. La pandémie de la Covid 19 a immobilisé pratiquement toutes les économies du monde mais la guerre en Ukraine, comme dit le proverbe, «à quelque chose malheur est bon», est en train d’aider à la redynamisation de certaines économies dont celle algérienne. Le ministre des Finances a annoncé des réserves de change de 54,6 milliards de dollars à la fin 2022 et 59,7 milliards de dollars en 2023, soit un accroissement de 5 milliards de dollars. La balance commerciale devrait enregistrer un excédent de 17,7 milliards de dollars à la fin 2022, alors qu’il n’était qu’à 1,1 milliards de dollars en 2021. Le montant des exportations atteindra 56,5 milliards de dollars à la fin 2022 contre seulement 38,6 milliards de dollars en 2021.

Le projet de loi de finances présenté par M. Kassali prévoit un taux de croissance de 4,1% en 2023 et de 4,4% en 2024, ainsi qu’un niveau d’inflation en 2025 qui serait de 4,6%. Bien que ces chiffres prêtent à l’optimisme, a-t-on pensé à demain ?

La guerre en Ukraine a trois impacts : un négatif et deux positifs. L’incidence du négatif, c’est l’augmentation des prix des matières premières qui engendre des frais supplémentaires pour les pays dont l’Algérie.

En ce qui concerne les deux impacts positifs, le premier est l’augmentation des prix des hydrocarbures. Le second, et c’est une première, c’est le dollar qui a gagné des places supérieures par rapport à l’euro. Actuellement, l’euro se vend moins cher que le dollar. L’Algérie, en tant que pays producteur et exportateur, le vend en dollars. Bien que la plupart de nos importations soient en euros, nous restons gagnants, il y a un excédent. La question est: a-t-on prévu comment dépenser cet argent ? Rappelons-nous l’année 2013 où nous avions des réserves qui dépassaient les 200 milliards de dollars et quand est survenue la crise pétrolière de 2014, tout s’est évaporé faute d’infrastructures économiques importantes, il n’y a pas eu de grands investissement. Ce qui nous donne à réfléchir sur la façon d’investir cet argent. A-t-on prévu un plan économique, sachant que l’inflation connaitra une régression positive,  allant de 7,7 % à la fin de 2022 à 5,5% en 2023 pour atteindre 4,6% en 2025 (soit l’inflation de 2022 à 2025 perdra 3,1%) ? Et ce, grâce aux nouvelles réformes politiques et économiques, ce qui favorisera, dans un avenir proche, le climat des affaires par les nouvelles ouvertures et garanties aux investisseurs, stipulé par le nouveau code de l’investissement. Ce dernier donne plus de chances aux partenaires privés d’intégrer la politique économique de l’Etat. A citer également les dernières dispositions du ministère du Commerce concernant la création de 5 zones franches dans le grand Sud afin d’encourager et soutenir plus d’échanges entre l’Afrique profonde et l’Algérie. Sans, bien sûr, omettre la nouvelle ouverture sur l’Afrique par le biais du développement des infrastructures routières avec l’Afrique qui représente un secteur économique stratégique. Il s’agit, bien évidemment, de la route transsaharienne, reliant Alger à Lagos, longue de quelques 4 800 km. Elle s’inscrit dans le projet de grandes routes transafricaines reliant six pays : l’Algérie, la Tunisie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Nigeria.

Le nouveau code de l’investissement permet de booster les PME et les startups en Algérie, et les amener à multiplier les exportations. Les grandes économies du monde ont été développées grâce aux PME qui ont engendré plus d’un quart de milliards (250 millions) d’emplois directs dans le monde (statistiques de la Banque mondiale). Dans notre pays, les résultats escomptés en la matière ne peuvent être réalisés que si et seulement si on opte pour le développement de l’esprit de l’économie de la connaissance et l’introduction de l’esprit d’entreprendre dans les organisations (entreprises) afin d’encourager les projets entrepreneuriaux (un essaimage en interne des entreprises). Nous devons être au diapason des normes internationales du commerce extérieur et opter pour une politique de gouvernance entrepreneuriale qui prône les principes d’une économie circulaire qui se base sur l’esprit d’innovation et de découverte ou passer de l’état d’esprit d’une économie de découverte à une économie élastique d’innovation.

Vous ne considérez pas que beaucoup a été fait pour l’entreprise et l’entrepreneuriat ?

L’Algérie a renforcé les structures d’appui de financement par l’institution du Fond national d’entrepreneuriat (2021) qui traduit la volonté de l’Etat de reprendre son rôle de régulateur du marché, tout en incitant le secteur privé à développer la création d’entreprises et la créativité. Ce qui donnerait un marché d’emploi plus important et encouragerait le secteur public à développer l’esprit d’entreprendre. Révolutionner l’esprit entrepreneurial au niveau de ce secteur qui est en perte de vitesse. Quand on parle d’esprit d’entreprendre, on parle de culture d’entreprise, de culture entrepreneuriale. La création d’entreprise et, d’une façon plus large l’entrepreneuriat, sont aujourd’hui unanimement reconnus comme étant des phénomènes vitaux pour la société. L’entrepreneuriat contribue à la régénération et au développement de l’économie de la société, grâce à ses apports comprenant la création d’entreprises, la création d’emploi, l’esprit d’innovation, le développement de l’esprit d’entreprendre dans les entreprises et l’accompagnement de changements structurels.

Actuellement, les pays émergents et les pays développés, ainsi que les post développés s’appuient sur l’entrepreneuriat pour la croissance et le développement de leurs économies et le considère comme un moyen d’améliorer la compétitivité, de favoriser la croissance économique et d’accroitre les possibilités d’emplois. Mais l’Algérie doit améliorer encore plus son écosystème par une révision immédiate de la loi sur la monnaie et le crédit, ainsi que le code fiscal afin qu’ils soient au diapason des nouvelles normes de la finance internationale. Ce qui permettrait d’avoir un modèle de croissance économique élastique et producteur de valeurs ajoutées.

Parlons d‘énergie. L’UE veut se libérer du gaz russe et compte sur l’Algérie parmi d’autres pays. Comment notre pays pourrait-il saisir l’opportunité pour se positionner sur le marché international ? Que faudrait-il arracher en premier aux pays demandeurs ?

Comme je l’avais déclaré précédemment, la guerre en Ukraine est en train de reparamétrer les données de l’ordre économique mondial. A présent, des pays en voie de développement sont considérés comme des pays qui ont des capacités de devenir des pays émergents. L’Algérie en est un. Je suis d’ailleurs sur un livre que je vais intituler : «Les atouts de l’Algérie, devenir un pays émergent». Je suis en train de le coréaliser avec Dr Benghalem Abdelhadi, spécialiste en innovation.

L’Algérie vend en monnaie forte son pétrole et cet argent rentre dans la Banque d’Algérie. On gagne de la vente du pétrole et de la fiscalité pétrolière. C’est une bonne chose. Ceci dit, je reviens toujours à ma question que je considère très importante : a-t-on prévu comment dépenser cet argent ? L’Algérie prévoit-elle un modèle de développement économique ?

L’Algérie subit des pressions de l’extérieur. Il y avait le printemps arabe et là, c’est l’hiver arabe. On voulait casser les pays du Sahel et leur centre qui est l’Algérie. Les problèmes ressurgissent. Le problème avec le Maroc et avec Israel, à travers le Maroc. Dans le projet de loi de finances 2023, l’Algérie a pratiquement doublé le budget de la Défense nationale. C’est justifié. C’est pour se protéger aux frontières avec le Maroc. Il y a aussi le problème avec l’Espagne par rapport à l’histoire du Polisario. Le problème du gazoduc. Donc, pour répondre à votre question pour le positionnement de l’Algérie, la seule option, c’est l’Italie. Il faut reconnaître que l’Italie a toujours été un bon allié pour l’Algérie mais là aussi faudrait se poser la question de savoir qu’aura-t-on en échange de la livraison de notre gaz ? Pour le moment, nous avons la signature de l’accord avec le constructeur Fiat. Est-ce suffisant ? Non. L’Algérie doit investir encore plus dans la découverte des gisements, aller vers la pétrochimie à l’intérieur et à l’extérieur, investir à l’étranger, faire rentrer des multinationales, créer de l’emploi, créer de la richesse et pourquoi pas développer des gazoducs en pleine mer afin de multiplier les recettes ? Voilà le retour d’une matière première. D’autant que l’Europe souffre actuellement de la crise énergétique. L’Algérie doit bien négocier la vente du gaz.

Aussi, nous avons la découverte de la mine de Ghar Djebilet. Les réserves sont estimées à plus de 2 milliards de tonnes. A citer également l’autre richesse attendue en hydrogène et en énergie solaire. L’Algérie est devenue un pays gazier et énergétique par excellence.

Le gouvernement table sur 10 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures en 2023. Ce n’est pas surestimé ?

On va passer donc de 5 milliards à 10 milliards de dollars. Je ne sais pas si nous avons les moyens de notre politique car pour passer de 5 milliards à 10 milliards, il faut un écosystème favorable. Les investisseurs ne demandent qu’à travailler. Ils ne demandent pas d’aides financières, juste les laisser travailler. Le grand ennemi de l’Algérie, c’est la bureaucratie. Elle est bien enracinée, avec ses effets néfastes sur notre économie. Passer à 10 milliards de dollars d’exportations, c’est faisable à condition de procéder à un grand assainissement au niveau de l’Etat profond. Nous avons commencé par le code des investissements, c’est une bonne chose. Maintenant, il faut revoir le code bancaire, le code monétaire, le code fiscal. Revoir les interdépendances entre les ministères. Revoir le système de gouvernance de façon générale. Il y a beaucoup à faire et le temps joue en notre défaveur. Il faut faire vite.

H. L.

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