DG de World Petroleum Council, Dr Pierce Riemer, à AI : le monde aura encore besoin des hydrocarbures

Dans une interview exclusive à Algérie Invest, Dr Pierce Riemer, directeur général de l’association pétrolière la plus prestigieuse au monde, la WPC (World Petroleum Council ou Conseil mondial du pétrole), nous parle de l’avenir de cette industrie et de ce qu’elle peut apporter à l’économie mondiale comme valeur ajoutée, et de sa vision en tant que spécialiste du domaine. A la tête de WPC depuis plus de 20 ans, Dr Riemer a côtoyé les plus grands leaders du monde pétrolier et gazier. Avant cela, il a dirigé l’Agence internationale de l’énergie où il a mis en place le programme GES en 1990, chargé de lancer les activités de captage et de stockage du dioxyde de carbone. Ses responsabilités comprenaient le programme technique, les usines de démonstration, les activités JI, AIJ, MDP et les études relatives aux émissions de gaz à effet de serre de toutes les sources à l’AIE. Dr Reimer est titulaire d’un diplôme en chimie appliquée et d’un doctorat en catalyse (gaz aux liquides). Il est chimiste agréé, diplômé de la Royal Society of Chemistry et membre de l’Institut de l’Energie.
Propos recueillis par Mahmoud Nedjai
Algérie Invest : Pouvez-vous nous parler de WPC et des différentes activités que vous entrepreniez à la tête de cette association mondiale ?
Dr Pierce Reimer : L’idée a été lancée dans les années 1930 par Thomas Dewhurs qui travaillait pour la Royal Institution à l’époque. Il était question de créer une organisation qui pourrait travailler globalement dans un format neutre et non-politique pour rassembler tous les acteurs du monde entier impliqués dans le pétrole. Les fondateurs disaient à l’époque que l’objectif était d’œuvrer pour le bien de l’humanité. Nos membres représentent plus de 95% de la production et de la consommation mondiales de pétrole et de gaz. Nous organisons le principal événement tous les trois ans, le « Congrès mondial du pétrole » qui est l’une des plus grandes expositions pétrolières et gazières au monde.
En tant que directeur général, quelle est votre vision de ce que devrait être la coopération internationale dans le secteur pétrolier et gazier ? Comment essayez-vous de façonner cette coopération ? Vous avez 99 % des producteurs de gaz et de pétrole dans le monde, comment les faites-vous travailler ensemble ?
C’est une question très intéressante mais à laquelle il est difficile aussi de répondre. Je pense que cela aide à réunir le maximum d’acteurs parce que nous sommes un organisme neutre. Nous ne sommes pas une organisation de lobbying, les gens donc nous font confiance. Les acteurs de la filière proviennent de tous les continents, et par notre entremise, ils se mettent souvent autour d’une même table de WPC. Ils discutent ouvertement de l’innovation et de la technologie que vous ne risquerez pas entendre parler ailleurs ou très rarement. Ainsi, nous pouvons avoir une réunion de comité en ayant comme invités l’Iran, Cuba et les États-Unis ensemble. Ils débattent dans la bonhomie des problèmes que le monde des hydrocarbures connait et subit.
L’un des exemples de coopération à retenir est celui qui a vu rassembler au sein d’une rencontre WPC-Banque mondiale beaucoup de pays et cela s’était très bien passé. L’Algérie était un bon exemple de coopération parce qu’à l’époque nous avions détecté une forte pollution dégagée par les torches via des photographies satellites. Alertés, les responsables algériens ont ainsi répondu à l’appel afin de diminuer les effets du torchage. Voilà un exemple de coopération à inscrire à l’honneur de Sonatrach.
Les pays n’étaient pas prompts comme aujourd’hui sur les questions climatiques…
Il y a 25 vingt-cinq ans, il était très difficile en effet de persuader les pays de l’OPEP de prendre des mesures sérieuses et de les impliquer dans des initiatives climatiques. Ils étaient très intéressés par le captage du carbone, mais seulement si vous utilisiez le captage du carbone pour une récupération assistée du pétrole. C’était parce que cela montrait un avantage matériel, car vous pouvez stocker le CO2 pour pouvoir produire plus de pétrole. On était, je dirais, dans une situation gagnant-gagnant.
De nos jours les choses sont très différentes et je pense que le Moyen-Orient, l’Europe et même certaines des grandes entreprises des États-Unis envisagent sérieusement maintenant de lancer des initiatives appropriées : pour une meilleure efficacité et pour réduire le CO2 et le méthane. Donc au fil des ans, je pense que nous y sommes enfin arrivés.
Beaucoup de gens sont maintenant plus réceptifs à faire des choses pour aider le climat. Nous avons eu une réunion il y a quelques semaines avec nos comités nationaux du Moyen-Orient où nous parlions tous de l’hydrogène vert, du captage et du stockage du carbone et de toutes les questions liées à la lutte contre le changement climatique. Une ne réunion que nous n’aurions jamais tenue il y a 25 ans.
WPC travaille à une énergie plus verte et peut-être à une utilisation plus responsable du pétrole et du gaz, mais soyons francs : y’aurait-il de véritables substituts au pétrole et au gaz aujourd’hui ?
Non. Il n’y en a pas et cela fait partie du dilemme. Beaucoup de gens, en particulier les membres du grand public, ne savent pas que tout ce qu’ils portent dans leurs maisons, autour d’eux, leurs médicaments, le matériel de protection, le matériel des hôpitaux… sont produits à partir de polymères qui sont issus de l’industrie pétrolière et gazière. Certes il y a eu beaucoup d’initiatives pour fabriquer des produits chimiques, du CO2… en essayant d’obéir aux options biologiques. Mais je ne pense pas que les gens réalisent l’ampleur de ce qu’il faudrait faire pour remplacer et pour mettre fin totalement à l’industrie pétrolière et gazière. C’est pourquoi nous savons tous que les gens ont encore besoin de pétrole et de gaz.
Le pétrole et le gaz sont des ressources très importantes pour l’économie mondiale mais les prix sont bas et les experts disent que les prix sont basés sur l’offre et la demande. Pourriez-vous nous expliquer comment est-ce possible à une époque comme celle d’aujourd’hui où la demande ne cesse d’augmenter ?
Il y a une analogie avec mes jours passés dans le charbon. Aussi, quand nous regardions le charbon il y a environ 30 ou 35 ans, nous disions aussi que le charbon par tonne coûtait moins cher que le sable et le gravier pour une mesure identique en charbon ; alors que pour le charbon il fallait plus de peine et d’effort pour l’extraire du sol. Mais hélas il se vendait moins cher que le sable et le gravier. Pour le pétrole et le gaz, c’est la même chose.
Je pense que le pétrole est ridiculement bon marché et pourtant ce n’est pas une ressource renouvelable. C’est une ressource très précieuse dont vous pouvez tirer beaucoup d’avantage et ainsi, comme il y a 35 ans avec le charbon, j’estime qu’il est sous-évalué. Il faudrait penser à la population mondiale qui ne cesse de croître. A ces nouvelles personnes qui rejoignent le monde et qui auront besoin d’énergie, de nourriture et d’eau…
Nous avons près d’un milliard de personnes sans accès à l’électricité, et nous avons près de trois milliards de personnes qui n’ont pas accès à une eau propre. Partant de ce constat, il ne nous faudra pas uniquement du pétrole et du gaz, mais d’autres sources d’énergie.
Il y a une quantité limitée de lithium dans le monde qui est un minerai utilisé pour fabriquer entre autres des batteries pour les voitures électriques. Le lithium sera-t-il assez suffisant pour cette industrie naissante ?
Le cas des voitures électriques est assez intéressant car il faut lier ça à l’industrie pétrochimique qui fabrique des polymères très sophistiqués pour les panneaux et les pièces de voitures électriques. Les hydrocarbures fournissent toujours des lubrifiants. Nous fournissons toujours les pneus et les voitures doivent être aussi légères que possible. Et même si cela pourrait être surprenant, le pétrole fournit la plupart des matériaux pour la construction des véhicules électriques et aussi pour les batteries, et la plupart des composants des batteries sont tous fabriqués avec de nouveaux polymères. Cela étant dit, outre le lithium, il y a le nickel et le cobalt, des métaux rares qui sont utilisés dans nos téléphones mobiles. Mais nous devons faire attention car la plupart de ces minerais sont autour du cercle arctique. Ce qui est très inquiétant car l’exploitation de ces minerais dégraderont inexorablement l’environnement. Que restera-t-il de la nature polaire si nous commençons à creuser dans l’Arctique ou le fond de l’océan pour obtenir ces matériaux ?!
Que pensez-vous de la gestion de SONATRACH depuis l’apparition de la pandémie du COVID-19, en ce sens que le groupe public algérien a su maintenir son investissement, ses quotas de production et ses emplois ? Est-ce un exemple pour la communauté O&G ?
Je dois vous dire d’abord que nous ne sommes pas avares en publicité lorsqu’il s’agit de la filière. Ce que vous venez de dire sur l’Algérie est extraordinaire. Et c’est la même chose dans le monde, car malgré le COVID-19, personne ne s’est plaint d’une pénurie. Tout cela est phénoménal. Il y a beaucoup d’histoires d’employés qui vivaient dans des raffineries isolées de leurs familles afin de maintenir les opérations malgré la pandémie. Je pense que nous devons être félicités pour cela, en particulier Sonatrach en Algérie, qui a fait un bon travail, et il est intéressant de voir comment Sonatrach a également été très performante pendant de nombreuses années dans le domaine du torchage. La compagnie algérienne est parmi les innovateurs dans ce domaine. Je me rappelle que Sonatrach avait aussi travaillé sur un projet innovant avec BP qui avait très bien marché. Enfin je pense qu’il y aura des pétroliers pendant les nombreuses années à venir, et il y aura d’autres moyens de produire de l’énergie comme l’énergie solaire, mais entendons-nous : le secteur O&G a de très longues années devant lui.
M. N.