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Débâcle de la Silicon Valley Bank : doit-on s’attendre à un effet domino mondial? Analyse de M. Mohamed Krim

La Silicon Valley Bank, spécialisée dans le financement des start-up, a récemment fait faillite. Selon M. Mohamed Krim, spécialiste en management bancaire, la banque a été victime de la hausse des taux d’intérêt, causée par la politique monétaire de la Réserve fédérale. Dans cet entretien, M. Mohamed Krim explique la débâcle de la banque américaine, en rappelant que la Silicon Valley Bank avait investi ses liquidités dans des bons du Trésor américain, jugés peu risqués. Toutefois, la hausse des taux d’intérêt a entraîné une baisse de la valeur des obligations détenues par la banque, ce qui a conduit à une perte de près de 1,8 milliard de dollars. M. Krim assure que la chute de la banque américaine ne devrait pas générer de lourdes pertes pour les banques européennes car ces dernières opèrent selon un modèle différent de celui de la Silicon Valley Bank. En revanche, le risque pour toutes les autres banques (américaines, européennes et autres) viendrait de la hausse des taux d’intérêt. A court ou moyen termes, l’Algérie ne peut être impactée par cette cette situation sauf crise économique structurelle mondiale affirme M. Krim.

Entretien réalisé par : Karima Mokrani

Algerieinvest : La banque Silicon Valley et d’autres banques américaines ont récemment fait faillite. Y a-t-il un risque de contagion pour d’autres banques aux États-Unis et dans le reste du monde ?

M. Mohamed Krim : La chute de la Silicon Valley Bank aux États-Unis a fait craindre l’apparition d’une nouvelle crise financière mondiale. Cependant, il apparaît que les banques en Europe et dans le reste du monde opèrent selon un modèle différent de celui de la Silicon Valley Bank. Leurs clients et leurs actifs sont plus diversifiés, ce qui limite le risque de faire face à la même séquence connue par la Silicon Valley Bank. De plus, il semble n’y avoir que peu de liens directs entre la Silicon Valley Bank et des établissements bancaires se trouvant dans le reste du monde. La chute de la banque américaine ne devrait donc pas générer de lourdes pertes pour ces dernières.    

En revanche, les établissements bancaires européens comme ceux aux Etats-Unis sont confrontés à la hausse des taux d’intérêt. Ils pourraient donc être amenés à essuyer des pertes s’ils sont contraints de vendre, de manière prématurée, les obligations qu’ils possèdent et/ou s’ils ne se sont pas suffisamment protégés face au risque de remontée des taux d’intérêt. Cela revient essentiellement au défaut de régulation aux États-Unis.

En effet, la défaillance d’un ou plusieurs  établissements financiers pose systématiquement la question de la régulation. A la suite de la crise financière de 2008, des règlementations plus strictes sont apparues aux États-Unis, en Europe et dans les autres parties du monde. Certaines de ces règles ont toutefois été allégées par l’administration Trump qui représentait à l’époque le parti républicain connu par sa doctrine économique basée sur le laissez-faire et la dérégulation du marché.

Plus précisément, les dispositions nouvelles promulguées par cette Administration prévoient que seuls les établissements bancaires disposant d’un bilan d’un montant supérieur à 250 milliards de dollars doivent faire l’objet d’une surveillance stricte, dite «surveillance renforcée», au moment où ce seuil était fixé à 50 milliards avant l’année 2017. C’est dire qu’avec les règles en vigueur auparavant, le régulateur américain aurait, sans doute, pu intervenir en amont et éviter, ainsi, la faillite de la Silicon Valley Bank, dont la taille du bilan était de 212 milliards de dollars fin 2022. L’Europe apparaît, de ce point de vue, beaucoup mieux protégée. Toutefois, si la chute de la Silicon Valley Bank ne devrait pas avoir de lourdes conséquences sur le système bancaire européen, la situation actuelle du Crédit Suisse, l’un des principaux groupes bancaires helvétique, inquiète à plus d’un titre.

Le Crédit suisse a perdu 7,3 milliards de  francs suisses en 2022

En effet, le Crédit Suisse a essuyé une perte de près de 7,3 milliards de francs suisses en 2022 et a annoncé avoir révisé ses comptes pour les années 2019 et 2020 en raison de «faiblesses substantielles dans son contrôle interne». L’inquiétude s’est amplifiée après que la Saudi National Bank, le premier actionnaire de Crédit Suisse, ait affirmé ne pas vouloir investir davantage dans le groupe, ce qui a semé le doute sur la capacité de survie de ce dernier. Une défaillance, cette fois-ci, de Crédit Suisse, qui gérait fin 2022 près de 1 300 milliards de francs suisses d’actifs, selon le rapport annuel de la banque, aurait certainement de graves conséquences pour le système bancaire européen.

Qu’en est-il pour l’Algérie?

L’Algérie, pour sa part, ne peut être impactée à court ou moyen termes par les effets induis par la faillite des banques américaines, au même titre que les autres banques du reste du monde. La raison en est que notre pays est préservé des perturbations des places financières internationales du fait qu’il ne soit pas connecté, d’une manière directe, à ces dernières. Le chamboulement financier pourrait toucher notre pays s’il prend des proportions d’une crise économique structurelle mondiale causant une récession généralisée. Le tout aggravé par un contexte international particulièrement tendu, marqué par les effets encore présents de la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont provoqué une augmentation sans précédent des prix des matières premières.

Quelles sont les causes véritables de la faillite de la Silicon Valley Bank ?

La Silicon Valley Bank est une banque américaine spécialisée dans le financement des start-up. Elle était, au début du mois de mars dernier, la 16ème plus grosse banque des États-Unis, en termes d’actifs gérés. Sa faillite constitue la plus importante défaillance bancaire aux États-Unis depuis la chute de Lehman Brothers en septembre 2008, qui avait précipité, à l’époque, la crise des subprimes.

Pour comprendre les causes de la débâcle de la Silicon Valley Bank, un retour en arrière s’impose. Au cours de l’année 2021, de nombreuse start-up ont réalisé d’importantes levées de fonds profitant d’un fort engouement dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Les dépôts gérés par la Silicon Valley Bank ont alors explosé, passant de 102 à 189 milliards de dollars. Ces liquidités ont notamment été investies par la banque en bons du Trésor américain, un placement jugé peu risqué. La hausse des taux d’intérêt, conséquence du resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale (FED) mené depuis début 2022, notamment à travers l’augmentation continue des taux directeurs, a eu un double effet : d’une part, les conditions de financement des entreprises se sont dégradées. Cela a notamment contraint les start-up à recourir aux liquidités dont elles disposaient en banque.

D’autre part, la valeur des obligations a sensiblement chuté en 2022. Ce phénomène s’explique par la corrélation négative entre la valeur des obligations en circulation et les taux d’intérêt. Lorsque ces derniers montent, les investisseurs cèdent leurs «vieilles» obligations pour acquérir de «nouvelles», ce qui provoque une baisse du cours des premières.

Subissant le croisement de l’ensemble de ces éléments, la Silicon Valley Bank a dû liquider une partie de son portefeuille d’obligations pour faire face aux retraits massifs des start-up. En raison de la baisse de la valeur des obligations, la banque, qui n’était pas protégée contre le risque de remontée des taux, a enregistré une perte sèche de près de 1,8 milliard de dollars et a, dans la foulée, annoncé vouloir procéder à une augmentation de son capital de 2,25 milliards de dollars.

Cette double annonce a déclenché une panique bancaire, suite à quoi de nombreux clients, ayant perdu confiance dans la banque, ont retiré leurs fonds. Les autorités américaines ont procédé à la fermeture de la Silicon Valley Bank pour limiter l’hémorragie.

Quelles seraient les conséquences de la chute de la Silicon Valley sur la technologie financière?

La technologie financière (Fintech) fait évoluer le secteur financier dans le monde entier. Elle favorise aussi l’accès des ménages à bas revenu à des services financiers de plus en plus à portée de main. Son potentiel et son impact économique sont considérables, outre sa capacité à améliorer les conditions de vie dans les pays en développement.

Cependant, la Fintech s’accompagne d’un défi majeur : comment encadrer et gérer les risques liés à cette transformation rapide et fondamentale, et faire en sorte qu’elle soit inclusive de manière à ce que tous les pays en bénéficient ? A ce titre, les instances de régulation doivent s’adapter à un environnement en évolution constante marqué par l’émergence d’acteurs nouveaux qui n’ont pas manqué de bousculer l’ordre traditionnel établi. Le tout, en veillant à instaurer des règles de jeu similaires pour tous, à protéger les consommateurs et la vie privée, ainsi qu’à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Se pose dès lors des questionnements nouveaux, notamment : le chiffrement des transactions monétaires pourrait-il faire avancer l’inclusion financière et soutenir les activités anti-blanchiment, en limitant les transactions en numéraire et en accroissant la traçabilité ?

Les investisseurs dans des activités émergentes comme le prêt collaboratif (peer-to-peer lending) doivent être pleinement conscients des risques que certaines autorités estiment à plusieurs milliards de dollars. Il y a lieu de différencier, d’un côté, les entreprises qui prêtent sur leurs propres capitaux, et qui se préoccupent principalement de la confidentialité des données, et, de l’autre côté, les entreprises qui prêtent l’argent des tiers, dont les préoccupations sont de nature classiques, et qui participent à ce qui pourrait être considéré comme des activités bancaires essentielles.

Du côté des consommateurs, l’accessibilité de plus en plus grande aux nouveaux produits financiers induit des risques importants, à l’instar du surendettement, d’autant que la connaissance du fonctionnement du secteur financier est souvent insuffisante. C’est pourquoi la Banque mondiale souligne l’importance de l’éducation financière au profit des ménages à bas revenus, à mesure que l’accès aux produits financiers s’élargit.

Ces nouveaux risques appellent à repenser la régulation et la surveillance du secteur financier. C’est tout particulièrement vrai quand il s’agit des risques liés à la cybersécurité, pour lesquels les banques et les instances concernées doivent adopter de nouvelles mesures de contrôle. Il est également essentiel de combiner les fonctions de surveillance avec la technologie moderne afin d’améliorer la détection des flux monétaires illicites, la fraude le vol.

Le besoin imminent de bien encadrer la Fintech, tout en innovant dans l’exploitation des informations et des données liées à la régulation, constituent un défi majeur que les institutions nationales et internationales s’attachent à relever, souvent en partenariat avec le secteur privé. Les autorités des pays qui enregistrent une forte expansion des Fintech, comme le Kenya, le savent et travaillent souvent avec de grands prestataires de services et les opérateurs de télécommunications.

Sur le plan macro, il est impératif de préserver la stabilité financière. Si un défaut de grande ampleur se produirait sur ces nouveaux produits, la perte de crédibilité pourrait compromettre des années d’essor du secteur financier et saper rapidement la confiance du public vis-à-vis de l’argent et des banques. La crise mondiale de 2008 a rappelé que les systèmes financiers permettent d’accompagner positivement le développement dès lors qu’ils fonctionnent normalement, mais qu’ils sont, en même temps, la cause d’un coût social élevé s’ils s’avèrent défaillants.

Quelles politiques économiques, réglementaires ou institutionnelles pourraient être mises en place pour prévenir un effondrement bancaire similaire à celui de 2008 ?

Les autorités américaines ont répondu rapidement de manière à préserver la confiance dans le système bancaire et éviter un effet de contagion. Il convient d’indiquer que les dépôts de la Silicon Valley Bank et de Signature Bank seront garantis dans leur intégralité, bien au-delà donc du plafond de 250 000 dollars prévu par la législation américaine. Cela concerne plus de 85% des clients de ces deux établissements.

La FED a, par ailleurs, mis en place un nouveau programme «le Bank Term Funding Program» destiné à fournir des liquidités à des conditions avantageuses, notamment au profit des établissements bancaires. Les banques pourront emprunter des fonds, en apportant des obligations valorisées à leur valeur nominale (et non à leur valeur de marché).

Les mesures prises par les autorités américaines visent à éviter tout risque systémique, c’est-à-dire le risque qu’un événement particulier entraîne, par réactions en chaîne, des effets négatifs considérables sur l’ensemble du système, causant dans cet élan une crise générale.

Enfin, de nombreux observateurs estiment que les principales banques centrales mondiales, comme la FED et la banque centrale européenne (BCE), pourraient mettre fin à leur politique d’augmentation des taux d’intérêt dans le cadre de la lutte contre l’inflation de manière à soutenir les économies.

Ces mesures d’ordre macro-prudentiel jouent un rôle important dans la préservation du système bancaire dans son ensemble. Il s’avère aussi important que les mesures micro-prudentielle établies ou devant être établies par les banques centrales jouent, à l’avenir, leur rôle dans le processus de prévision des crises, en se basant sur l’étude des cycles, des déséquilibres ou des bulles financières.

Le microprudentiel se présente, ainsi, comme un élément incontournable et complémentaire au macroprudentiel, dès lors qu’il se concentre davantage sur la surveillance de chaque institution pour anticiper et encadrer un risque systémique potentiel.

K. M.

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