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Ali Bey Nasri : «Trois secteurs peuvent tirer très haut les exportations hors hydrocarbures»

Ali Bey Nasri est formateur à l’export et ancien président de l’Association des exportateurs algériens (Anexal). Il aborde dans cet entretien l’état des lieux des exportations hors hydrocarbures en Algérie et le potentiel qui reste à valoriser. Il évoque aussi les contraintes à l’export dont se plaignent les exportateurs tout en suggérant des pistes pour les solutionner.  

Propos recueillis par : Younès DJAMA  

AlgérieI nvest : L’Algérie ambitionne d’augmenter ses volumes d’exportations hors hydrocarbures à 10 milliards de dollars fin 2023. Cet objectif est-il à la portée de notre pays ?

Ali Bey Nasri : Les exportations algériennes à hauteur des deux tiers sont constituées des dérivés des hydrocarbures, notamment les fertilisants. Dans ce cadre de ces exportations, Sonatrach est la première avec ses exportations de solvants aromatiques et qui sont des dérivés directs des hydrocarbures à travers le raffinage. Nous avons aussi trois sociétés dans la production des fertilisants dont les investissements ont commencé pour deux d’entre elles à partir de 2013. Ce qu’on peut tirer comme enseignements des exportations algériennes c’est qu’à peu près 75% sont tirées par le prix du baril de pétrole. Donc, nous sommes toujours captifs du coût de l’énergie (gaz et pétrole). Prenons à titre d’exemple l’ammoniac. En 2020 il était autour de 200 à 230 dollars la tonne, il est passé à 1 200 dollars/t. L’autre enseignement qu’on peut tirer c’est que l’augmentations hors hydrocarbures (HH) sont intimement liées aux investissements réalisés depuis exactement 2010. Ces investissements ont pu impacter très fortement les exportations HH. Nous avons bien sûr les fertilisants. Nous avons aussi les produits sidérurgiques. Nous étions pratiquement à hauteur de 30 millions de dollars en 2020 et avant, nous sommes passés à 1 milliard de dollars en 2021. Nous avons un autre produit, en l’occurrence le ciment et notamment le clinker. Ce sont des investissements qui ont été réalisés à partir de 2015-2016 et qui, actuellement, réalisent près de 300 millions de dollars grâce à l’exportations de 6 millions de tonnes en 2021. Pour 2022, il est attendu un volume de 10 millions de tonnes…Ce sont ces grandes entreprises qui peuvent tirer les exportations vers le haut. Quant à l’objectif d’atteindre 10 milliards de dollars (d’exportations en hors hydrocarbures à fin 2023), c’est possible avec toutefois la réserve que c’est intimement lié aux cours du baril de pétrole. C’est une réalité, nous n’avons pas une très grande diversification de l’offre à l’exportation. Aussi, s’il y a des exportations importantes des produits sidérurgiques c’est parce que les coûts de l’énergie et du gaz sont très favorables à notre pays. Idem pour ciment. Donc, toutes ces familles de produits ont en commun : le coût de l’énergie qui est à notre avantage.

Quels secteurs pourraient tirer les exportations hors hydrocarbures ?

Nous avons les ressources minières qui restent inexploitées à ce jour, qui n’ont jamais été valorisés. Nous détenons un gisement très important de substances minérales dont certaines sont rares comme le lithium, le manganèse…D’après certains spécialistes dans le domaine, l’Algérie dispose d’un potentiel d’exportation entre 30 et 40 milliards de dollars dans le domaine des ressources minières. Nous avons aussi le phosphate. L’Algérie a exporté une moyenne de 2 millions de tonnes de phosphate à l’état brut, avec un prix moyen de 80 dollars la tonne. À raison de 80 dollars/t c’est à peu près 160 millions de dollars. En revanche, nous importons les dérivés que sont l’acide phosphorique, le phosphate diammonique et le superphosphate concentré dont le coût varie entre 600 et 800 dollars/t. en le valorisant, le phosphate peut nous rapporter des milliards de dollars. Il peut être une source importante de revenus, ainsi que les ressources minérales. Nous avons également un domaine qui est pratiquement disons presqu’inexistant, c’est celui des éthylènes tirés du gaz et destinés à tout ce qui est du domaine de la plasturgie. Nous importions jusqu’à 1 milliard de dollars, et nous avons la matière première nécessaire qu’est l’éthane disponible dans le gaz. Nos importations proviennent d’un pays qui n’est pas gazier, l’Arabie Saoudite, pour l’équivalent de 400-450 millions de dollars. Dans ce domaine aussi, l’Algérie peut être un acteur très important parce que nous sommes un pays beaucoup plus gazier pétrolier.

Ce sont donc trois secteurs qui peuvent tirer très haut les exportations hors hydrocarbures. Il faut répondre à la question : quelle est la demande mondiale ? Tous les pays passent par cette question-là. Nous pouvons voir quelle est la demande qui existe dans d’autres créneaux, et ce en dehors ces trois domaines que j’ai cités. L’Algérie a le potentiel nécessaire pour aller à 40 milliards de dollars (d’exportations hors hydrocarbures) uniquement dans les trois secteurs que je considère comme très porteurs.

Y-a-t-il d’autres pistes pour augmenter nos exportations hors hydrocarbures ?

Nous pouvons à travers les IDE (investissements directs étrangers), nous inscrire dans la chaine de valeur et ramener chez nous, justement dans ce cadre-là, les produits et les secteurs dont la demande est émergente. L’industrie pharmaceutique peut être un secteur porteur. Nous avons l’industrie de l’automobile qui est à construire aussi. Nous avons les conditions d’un décollage extrêmement important, à nous de choisir les partenaires, à nous de savoir attirer les investisseurs mais surtout des partenaires technologiques. Je ne suis pas très favorable aux investissements financiers. On va s’acheminer cette année vers un excédent commercial entre 15 et 18 milliards de dollars, sur la base d’une exportation de gaz et de pétrole de l’ordre de 52 milliards de dollars. Pour les exportations en hors hydrocarbures, nous en aurons pour 7 milliards de dollars. On va donc aller vers une exportation globale entre 59 et 60 milliards de dollars, ce qui est très important. Les importations devraient être entre 40 à 42 milliards.  Le plus important pour nous c’est de nous inscrire dans la chaine de valeur mondiale, faire valoir nos atouts. Nous avons un code de l’investissement qui, de l’avis de tous les spécialistes, est très attractif. Allons vers la valorisation de nos ressources primaires, ce sont des intégrations de l’ordre du 100%. En revanche, à mon avis nous ne serons pas un pays exportateur de produits agricoles, parce que nous avons une demande interne de plus en plus importante, nos subissons un stress hydrique dont il faudra tenir compte. Il faut aller vers l’industriel et la valorisation des matières premières.   

Quels sont les verrous à l’exportation qui restent encore à lever, selon vous ?

Trois conditions sont absolument nécessaires pour encourager les exportations. La plus importante, à mes yeux, c’est la dépénalisation de l’acte d’exportation. Il faut savoir que sur les exportateurs pèsent ce que j’appellerais une épée de Damoclès à savoir l’ordonnance 96/22 qui stipule qu’est passible de prison l’inobservation de la réglementation des changes. Et notamment l’incident de paiement qui n’est pas reconnu par la Banque d’Algérie. Rassurer et donner de la confiance sont absolument nécessaires. Aucune grande entreprise ne veut aller devant un procureur pour un incident de paiement. Et par là je veux surtout parler des petits exportateurs dont la majeure partie n’est pas au fait des mauvaises passes à l’exportation. Souvent pour 2 000 euros, 1 000 euros, des exportateurs sont présentés conformément l’ordonnance citée plus haut. Donner de la confiance c’est d’abord dépénaliser l’acte d’exportation. On peut le faire de deux façons. La première c’est de considérer tout exportateur qui a une assurance Cagex (compagnie nation ale d’assurance de garantie à l’exportation), et qui connait un incident de paiement qu’il est assuré par une institution de l’Etat algérien. Je propose d’aller beaucoup plus vers une amende, faible au départ, pour amener l’exportateur à être plus vigilant à l’avenir. L’autre proposition consiste en l’internationalisation des entreprises exportatrices. Nous sommes l’un des rares pays qui n’encouragent pas leurs entreprises à investir à l’étranger. Lorsque j’étais à la tête de l’Anexal, la proposition que j’avais faite était de permettre aux exportateurs qui ont un compte devises de pouvoir les utiliser pour investir à l’étranger. 80% des devises sont destinées à l’achat de la matière première, et 20% laissés plus ou moins à la discrétion de l’exportateur.

Malheureusement il y a la réglementation 06/21 qui stipule que toute dépense à partir de ce compte doit être justifié par une facture, etc. je suis exportateur, j’ai dans mon compte exportateur 200 000 dollars, laissez-moi avec cette somme investir à l’étranger, mettre en place un bureau de liaison, développer mon produit à l’international. L’internationalisation des entreprises est un levier de croissance pour l’entreprise et pour le pays.  Ça ne touche pas du tout les réserves de change parce que c’est un compte exportateur laissé à sa libre discrétion. Autre proposition : lever la rigidité de la réglementation de changes.

L’autre contrainte est la relative à la logistique. Nous souffrons des contraintes de nos ports et nous sommes très mal classés par l’indice de performance logistique en Algérie. Nous avons des délais d’embarquement et de débarquement longs parce que nos ports ne sont pas modernes. S’il n’y a pas une fluidité au niveau des ports, vous ne pouvez pas aller loin.

Y.D.   

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