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M. Kerma, Directeur de l’ENSM: «Il faut passer d’une culture de conformité à une culture de sécurité»

Remettre le pavillon algérien sur la voie de la performance

En marge du Forum maritime d’Alger 2025, Algérie Invest a rencontré M. Kerma, Directeur de l’École Nationale Supérieure Maritime (ENSM). Pour cet expert du domaine, la sécurité des navires algériens ne peut être assurée par les seules procédures. Elle dépend d’abord d’un changement de culture à bord, d’une vigilance partagée et d’un effort collectif de formation. Objectif : réduire les détentions de navires, éviter les accidents, et remettre le pavillon algérien sur la voie de la performance.

Fort de plus de 30 ans d’expérience dans le domaine maritime et portuaire, le Dr Azzeddine Kerma occupe depuis 2016 le poste de Directeur Général de l’École Nationale Supérieure Maritime (ENSM), qu’il a profondément modernisée tant sur le plan pédagogique que technologique. Ancien Capitaine au Long Cours, docteur en sciences économiques et diplômé de la prestigieuse World Maritime University, il incarne l’alliance réussie entre savoir académique et expertise de terrain. Reconnu à l’échelle internationale, il œuvre pour une formation maritime de haut niveau en Algérie, tout en contribuant activement à l’évolution des standards de sécurité et de durabilité dans le transport maritime mondial.

Entretien réalisé par :  Khaled Remouche

Algérie Invest : Comment assurer durablement la sécurité maritime en Algérie ?

Dr Azzeddine Kerma : La clé, c’est le facteur humain. La sécurité ne se résume pas à une simple application de procédures, c’est une culture à développer. En Algérie, nous travaillons justement à instaurer cette nouvelle culture de sécurité, à travers des programmes de formation adaptés. Il reste beaucoup à faire, mais c’est une démarche essentielle si l’on veut éviter incidents, accidents et détentions de navires.

Quelle conception de la sécurité maritime proposez-vous ?

Il faut passer d’une culture de conformité à une culture de sécurité. Concrètement, cela signifie ne plus se contenter de suivre des check-lists, mais intégrer un management actif de la sécurité, basé sur l’anticipation des risques, la vigilance et la remise en question permanente des pratiques.

Quel lien faites-vous entre cette culture et les détentions de navires ?

Les détentions ne sont pas dues à des oublis. Elles sont souvent liées à une faible anticipation, à une vigilance insuffisante, voire à une méconnaissance des exigences internationales. Ce ne sont pas des erreurs techniques, mais des violations ou négligences récurrentes, souvent évitables si le personnel avait été mieux préparé à travailler selon une culture de sécurité exigeante.

Quelles sont les principales causes de ces détentions sous pavillon algérien ?

On peut distinguer deux grands volets. D’abord, la convention MLC, qui encadre la vie à bord : conditions d’hygiène, propreté des cabines, des sanitaires… Ce sont des non-conformités simples, mais fréquentes. Ensuite, il y a les exigences techniques liées aux conventions internationales. Là, le problème vient souvent du fait que le personnel n’est pas suffisamment habitué à appliquer strictement ces normes. Il y a un effort, mais aussi un laisser-aller culturel que seule une culture de sécurité peut corriger.

Pourquoi un pavillon est-il classé sur une liste noire ?

Parce qu’il présente un risque grave pour la sécurité humaine. Un navire mal préparé, mal entretenu, peut provoquer un échouement, un incendie ou un arrêt en mer. Cela concerne toujours le futur, un risque potentiel que seul un personnel formé et conscient peut gérer. Il ne s’agit pas d’obéir mécaniquement aux procédures, mais d’avoir un état d’esprit vigilant et responsable.

Comment expliquer certaines erreurs humaines à bord ?

Souvent, l’erreur n’est pas commise par l’officier, mais par un subalterne qui n’ose pas en parler, par peur d’être sanctionné. Ce silence vient de l’absence de culture du risque. Il faut instaurer un climat de confiance, où l’on peut discuter des erreurs, les analyser, les corriger ensemble, et ainsi renforcer la sécurité du navire dans son ensemble.

Quelle est votre appréciation des compagnies sous pavillon algérien ?

Certaines compagnies fonctionnent bien. Je pense notamment à Hyproc, filiale de Sonatrach, qui suit un modèle basé sur le code TMSA, un système exigeant intégrant le management du risque. Mais il ne faut pas croire que seuls les navires algériens sont détenus. Des navires certifiés, de tous horizons, peuvent être immobilisés si la vigilance n’est pas au rendez-vous.

Le code TMSA est-il transposable à d’autres types de navires ?

Je propose un autre système, plus souple et adaptable. Il s’agit d’un outil basé sur la culture de sécurité par paliers. On effectue un audit sans documentation, une sorte de photographie du niveau de sécurité à bord. À partir de ce diagnostic, on forme le personnel pour qu’il progresse, étape par étape, vers une culture de sécurité globale.

Un dernier mot sur ce que doit être la sécurité maritime ?

La sécurité maritime, c’est avant tout une conscience intérieure. En Algérie, nous avons trop externalisé la sécurité, en la réduisant à des procédures. Le marin doit se réconcilier avec son rôle, comprendre qu’il est le premier acteur du système, celui qui applique les procédures. Il doit être vigilant, résilient, capable d’agir intuitivement face au danger, et non pas attendre que la procédure le guide. La sécurité, c’est d’abord une posture mentale.

K.R.

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