L’industrie automobile algérienne en pleine transformation : 2025, l’année décisive selon Kamel Agsous

Dans cet entretien exclusif avec Algérie Invest, Kamel Agsous, Président de la Bourse Algérienne de Sous-Traitance, aborde les enjeux de l’intégration industrielle en Algérie, notamment dans le secteur automobile. Il évoque l’importance de la diversification économique, le rôle clé de la sous-traitance, et la montée en puissance de nouveaux acteurs comme Stellantis. Selon lui, 2025 pourrait marquer le véritable démarrage de l’industrie automobile algérienne, avec des objectifs d’intégration ambitieux et une mise à niveau indispensable des PME locales.
Pour le premier responsable de cette association, la croissance sera tirée à court, voire à moyen terme par de nouveaux acteurs particulièrement dans le secteur ferroviaire, les énergies renouvelables, le dessalement d’eau de mer et l’automobile qui sont de grands pourvoyeurs de sous-traitance.
Entretien réalisé par Khaled Remouche
Algérie Invest : Quelle a été l’importance de la 9ᵉ édition du salon de la sous-traitance industrielle Algest, organisée récemment par la Bourse Algérienne de Sous-Traitance et le World Trade Center d’Alger ?
M. Kamel Agsous : L’importance de cet évènement, c’est qu’il se situe à la croisée des chemins, entre la nécessité de changer de paradigme en termes d’investissements productifs en passant à une croissance innovante, c’est-à-dire qu’elle repose sur le progrès technologique et non sur l’ajout de facteurs de production. Cette dernière croissance est limitée. L’innovation, le changement technologique permettent, en revanche, d’aller beaucoup plus loin, si on suit la fameuse loi des rendements décroissants des facteurs de production. En clair, quand on est dans l’innovation, il n’y a pas de limites à l’augmentation de la productivité.
Quant à cette manifestation, elle a permis la rencontre entre professionnels, de voir où en est la technologie, si on est réellement sur cette voie ou pas. La croissance cette année, dans un an sur les cinq prochaines années, va être tirée par de nouveaux acteurs. C’est pour cela qu’on parle de diversification. Traditionnellement, ce sont chez nous les hydrocarbures, les industries manufacturières qui tirent la croissance économique, la croissance industrielle en particulier. Là, aujourd’hui, nous allons avoir de nouveaux acteurs qui sont extrêmement importants même si aujourd’hui, ils sont méconnus. Certains de ces nouveaux acteurs ont participé à cette 9ᵉ édition du salon de la sous-traitance.
À cet égard, certains secteurs ou filières pourvoyeurs de sous-traitance vont connaitre une évolution significative au cours des prochaines années. Je citerai le secteur des chemins de fer qui va connaître un développement prodigieux avec un objectif de passer de 6000 kilomètres à 15 000 kilomètres de voies ferrées sur les cinq-six prochaines années. Nous avons également dans le ferroviaire, le métro et le tramway qui suivent leur bonhomme de chemin et qui sont pourvoyeurs de sous-traitance. Nous avons les énergies renouvelables qui entrent en jeu. Cela commence à bouger dans cette filière. Nous avons les dépenses d’infrastructures. Je pense notamment aux stations de dessalement d’eau qui sont pourvoyeurs de sous-traitance. À titre d’exemple, les projets actuels consomment jusqu’à 400 000 membranes. Le dessalement d’eau de mer est donc extrêmement important.
L’industrie automobile est également un grand pourvoyeur de sous-traitance. Nous y arrivons. Il y a Stellantis qui commence à faire ses premières productions. Il y a des agréments qui sont en train d’être donnés. Je pense que 2025 sera l’année du démarrage, on l’espère, de l’industrie automobile.
Qu’en est-il de la participation des entreprises de sous-traitance au salon Algest 2024 ?
Nous avions en gros un mix de donneurs d’ordre, surtout du secteur public, en particulier des grandes industries manufacturières, du secteur de l’énergie : Sonatrach et ses filiales. Nous avons de l’autre côté des PME de sous-traitance, celles qui activent actuellement et qui produisent des pièces de rechange, des pièces mécaniques, des composants électriques et électroniques pour le marché domestique pour le moment. Plus tard, ils fourniront des pièces ou composants pour les marchés évoqués : ferroviaire, énergies renouvelables, dessalement d’eau de mer, industrie automobile.
On a eu dans ce salon 40 % d’entreprises publiques, 35 % d’entreprises privées, le restant sont des institutionnels ou des entités publiques liées à l’écosystème, représenté notamment par les instituts de normalisation, de certification, la Douane. Le Salon Algest a regroupé 112 exposants dont 95 entreprises.
Comment évaluez-vous l’importance du tissu de sous-traitance nationale notamment dans le secteur automobile ?
Nous avons 1200 entreprises dans le secteur de la sous-traitance industrielle. Ce chiffre en soi ne veut rien dire. Du point de vue de l’importance (ndlr quantitative), ce chiffre est relativement faible. Mais lorsqu’on va sur le terrain, et que l’on regarde les 1200 entreprises qui produisent une multitude de pièces pour tous les secteurs et dans tous les secteurs, on s’aperçoit qu’il y a un grand savoir-faire, de belles organisations, de belles success stories et il y a déjà de quoi pourvoir le marché local au stade actuel en composants.
Cela veut dire que dès à présent, les 1200 entreprises, dès lors que les relations entre donneurs d’ordre et de sous-traitants se rétablissent, peuvent – c’est un peu l’objet du salon – atteindre un taux d’intégration acceptable. Concernant l’industrie automobile, c’est valable pour le secteur des hydrocarbures, il faut absolument que le tissu industriel, au-delà de s’étoffer quantitativement, soit mis à niveau. Parce que notamment les normes ne sont plus les mêmes. La mise à niveau – c’est extrêmement important de le dire – dans tous les pays du monde est du ressort, en général, des pouvoirs publics. Tout le monde assiste globalement les PME, en particulier les PME de sous-traitance, de façon à ce qu’elles soient compétitives.
En France, en Allemagne, a fortiori en Italie, 90 % du tissu industriel est composé de PME qui sont à un niveau extrêmement important et qui exportent. Dans l’industrie automobile en Algérie, on recense 200 entreprises de sous-traitance qui fournissent déjà de la pièce de rechange pour le marché du service après-vente. Pour la première monte, il y a environ 30 entreprises qui sont opérationnelles sur 100 qui ne demandent qu’à travailler dès lors que la fabrication de véhicules devient effective. Si Stellantis applique son programme d’augmentation de la production de véhicules l’année prochaine, si les autres acteurs entrent en scène dès l’année prochaine, facilement une centaine d’entreprises de sous-traitance automobile se mettront en branle, bien sûr moyennant une mise à niveau, probablement en créant d’autres PME de sous-traitance.
Êtes-vous optimiste quant à la réalisation de l’objectif de 30 ou 40 % d’intégration dans le secteur automobile au cours des trois ou cinq prochaines années ?
Un Président américain a dit : « Yes we can ». Nous pouvons. Je dis : « Nous pouvons », j’ajoute en paraphrasant un slogan de Nike : « Just do it ». Faites-le. Il faut juste le faire. Pour nous, c’est la même chose. On peut, moyennant des arrangements : le partenariat avec des équipementiers, la mise à niveau, répondre à la quasi-totalité des besoins sur les trois-quatre-cinq prochaines années, à l’exception peut-être du moteur.
Dans une voiture, il y a au minimum 30 000 positions (ndlr pièces) à 60 000 positions selon la complexité du véhicule. Il y a de la marge, on peut fabriquer énormément de pièces. Mais pour fabriquer, il faut qu’il y ait de la demande. Il ne faut pas que l’industrie automobile ne soit plus une arlésienne. Il faut que cela paraisse. Si en 2025, il y a une production effective de véhicules, les entreprises dans le domaine de la sous-traitance vont se mettre en marche. Les pouvoirs publics ont mis en place des cahiers des charges pour contraindre les constructeurs à aller vers une assistance aux PME de sous-traitance pour augmenter le taux d’intégration : 10 % la première année, jusqu’à 30 % à la cinquième année.
Comment commentez-vous la mise en service par Tosyali Algérie de l’usine d’acier plat, qui sera achevée en principe complètement en octobre ou novembre prochain et qui pourrait améliorer le taux d’intégration du véhicule assemblé en Algérie ?
Le taux d’intégration est, par définition, un noircissement de la matrice industrielle. Parce que les échanges intersectoriels sont très importants. Pour l’acier, on rentre dans la matière première. C’est comme le plastique. Aujourd’hui, l’Algérie importe et transforme. Elle a les capacités de transformation des matières premières. Le taux d’intégration peut augmenter fortement dès lors que la matière première est produite localement. Avec l’acier plat, on peut aller sur la tôlerie. On peut fabriquer des portières. Avec l’acier plat fabriqué en Algérie, la carrosserie du véhicule peut être faite dans notre pays. Il faudra cependant du temps pour le moteur. C’est compliqué. Il faut un transfert de know-how.
Avons-nous une feuille de route pour améliorer l’intégration de l’industrie nationale ?
C’est valable pour tous les secteurs. Le secteur électroménager est visé. Le cahier des charges auquel doivent se soumettre les constructeurs automobiles précise que le taux d’intégration doit être de 10 % la première année. On quitte le SKD pour faire du CKD. Au bout de la cinquième année, on doit être à 30 %. Le texte de loi prévoit des sanctions pour ceux qui ne respectent pas cette cadence. Il y a deux conditions. Il faut que les pouvoirs publics mettent à niveau le tissu de sous-traitance et il faut que le constructeur s’oblige à accompagner les sous-traitants dans leur démarche d’homologation.
Sur ce plan, il y a une visibilité. Il y a tout ce que vous voulez dans les documents. La loi est là, les mécanismes incitatifs existent. En somme, il faut sortir de la dépendance aux hydrocarbures. La pandémie, les bouleversements géopolitiques dans le monde montrent qu’il faut compter sur soi. En ce sens, il y a une plus grande prise de conscience des entreprises, observée dans ce salon, quant à la nécessité d’être moins dépendants de l’étranger dans la fabrication de leurs produits ou de fabriquer des produits en substitution aux marchandises importées.
Pensez-vous que l’État est en train de donner les moyens financiers suffisants à la mise à niveau des entreprises publiques saines, qui peuvent contribuer à l’amélioration du taux d’intégration industrielle du pays ?
Il est souhaitable que tout le monde se mette à niveau. Mais avant tout, la mise à niveau concerne d’abord les PME de la sous-traitance. Ce sont des entreprises familiales, pas bien organisées, fragiles sur le plan de la trésorerie. Elles ont des fonds de roulement très faibles. Elles sont toujours en situation de précarité. Ce sont des entreprises familiales. Elles ne peuvent pas lever des capitaux. La mise à niveau concerne d’abord ces petites et moyennes entreprises qui peuvent faire énormément de choses. Les petits ruisseaux font de grands fleuves.
Maintenant, les grands groupes industriels, ils ont en principe théoriquement suffisamment de capacités et de ressources. Il y a des ressources dans ces grandes entreprises. Autrement dit, ils n’ont pas un problème de ressources. Je peux le démontrer. Sauf qu’il faut du management. Un bon management permet d’utiliser rationnellement tout ce que tu as sous la main, d’éliminer ce dont tu n’as pas besoin, de récupérer les choses qui dorment mais dont tu as besoin, de rationaliser les investissements, de mettre en adéquation tes besoins en fonds de roulement avec ton fonds de roulement. Dans une situation où l’État ne sort aucun centime, tu peux moderniser ton appareil de production avec un bon management. Bien sûr, l’attractivité de ces entreprises, si elles sont bien gérées, va permettre les partenariats. Le partenariat peut apporter à la grande entreprise des possibilités de se moderniser, sans faire appel forcément aux devises de l’État.
Un dernier mot ?
Il y a des capacités disponibles. Il y a du génie créateur à travers toute la société algérienne, notamment dans ces usines, dans ces entreprises. Il y a une expérience suffisante. Il y a, je pense, un attachement à son outil de production, à son entreprise qui est là. Il faut maintenant mobiliser tout cela. Il faut mettre tout cela en branle. Il convient de lancer des plans d’action, des programmes afin que tout cela se mette en marche sur le terrain.
K.R.
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