Les fintechs en huit questions par Rachid SEKAK (contribution)

Dans cette contribution éclairante pour Algerieinves.dz, M. Rachid Sekkak, ancien cadre supérieur de banque et expert renommé en technologies financières, se penche sur l’évolution et les enjeux des fintechs en Algérie. En retraçant les origines de ce concept des années 90 avec l’essor d’internet et des smartphones, Sekkak met en évidence, en huit questions, comment ces innovations ont transformé l’interaction des clients avec les banques et les assurances. Il explore l’émergence rapide des fintechs, soulignée par la révolution digitale et l’utilisation intensive des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, la blockchain, et le big data. Rachid Sekkak aborde également les défis spécifiques auxquels font face les start-ups locales, notamment en matière de sécurité des données et de cadre institutionnel. En conclusion, il plaide pour une collaboration stratégique entre les banques et les fintechs, mettant en avant la complémentarité de leurs expertises pour une modernisation réussie du secteur financier algérien.
Contribution : Rachid Sekkak
Question 1 : Le concept fintech est-il nouveau ?
Le concept de fintech n’est pas nouveau. Il date des années 90 avec l’essor d’internet puis la montée en puissance des smartphones qui ont considérablement modifié la façon dont les clients interagissent avec la banque (le mobile banking) ou la compagnie d’assurance. En Algérie, le concept est devenu populaire avec la volonté politique depuis quelques années de promouvoir les start-up.
Question 2 : Mais qui sont ces nouveaux entrants dans l’industrie financière ?
Tout d’abord, il faut relever que leur ADN est technologique. Le terme fintech provient de la contraction des mots finance et technologie. Il fait référence à des entreprises, les start-up technologiques, qui utilisent les nouvelles technologies pour modifier, améliorer, concurrencer les prestations traditionnelles du secteur financier (banque et assurance). Pour résumer et faire simple, la fintech c’est une nouvelle manière de faire de la finance.
Question 3 : Quels sont les principaux éléments du contexte qui expliquent l’émergence rapide des fintechs ?
Nous sommes d’abord au cœur de la révolution digitale et de la technologie numérique. La technologie numérique permet de codifier l’information (0-1), de la stocker et de la faire circuler à grande vitesse. Le digital se traduit par un accès instantané à l’information partout dans le monde. À cela se combine une utilisation intensive de nouvelles technologies touchant notamment le stockage et la gestion des données :
- L’intelligence artificielle (IA) qui, au travers d’algorithmes, permet de traiter de grandes quantités de données en temps réel.
- La blockchain.
- Le cloud computing.
- Le big data. Le cocktail magique des fintechs : internet + intelligence artificielle + processus de décentralisation. Certains affirment aussi qu’une certaine défiance vis-à-vis des banques, émergée à la suite de la crise des subprimes, a favorisé l’accélération de la montée en cadence des fintechs.
Question 4 : Quels sont les avantages potentiels de la fintech ? On évoque souvent aujourd’hui l’amélioration des processus internes des banques, une meilleure automatisation et une meilleure gestion des risques ?
Sans vouloir être exhaustif, car il serait difficile et prétentieux de l’être, les champs d’intervention et de contribution potentiels de la fintech se situent en gros à deux niveaux :
- L’amélioration de l’interface-expérience-satisfaction client.
- L’amélioration des processus internes en vue de réaliser des gains de productivité : efficacité, moindre coût et maîtrise des risques. Le premier volet vise à mieux répondre aux besoins des clients et des prospects des banques et des assurances et à rendre les services plus accessibles : nous sommes dans la problématique d’un accès plus large et plus convivial aux services financiers. Le second volet s’intéresse à plusieurs éléments :
- La réduction des coûts des back offices (la tuyauterie des banques), notamment grâce à une automatisation des process. C’est le volet gains de productivité.
- L’amélioration des processus internes de décision.
- Une meilleure gestion des risques, notamment de crédit et de fraude.
- Veiller à la conformité réglementaire et à une amélioration de la recherche. À noter qu’en amont et au préalable, de gros investissements informatiques de mise à niveau sont indispensables dans les banques en vue de pouvoir absorber ce flux d’amélioration technologique. Un cadre institutionnel adéquat doit être là, et il n’est malheureusement pas toujours en place.
Question 5 : Est-ce que nos start-up locales utilisent réellement la technologie pour repenser les services financiers et bancaires en Algérie ?
Chez nous, actuellement, on observe un focus important sur le premier volet évoqué plus haut, notamment sur les services de paiement. C’est un peu dommage car le potentiel et les besoins sur le second volet sont énormes. Mais cela va évoluer.
Question 6 : La relation entre les banques et les fintechs ? Sont-elles finalement plutôt concurrentes ou partenaires en Algérie ?
La fintech a souvent été perçue comme un concurrent des banques. Un peu partout dans le monde, on a pu observer que la fintech a bousculé les banques, qui ont dû adapter leurs business models et innover. En face de ce contexte concurrentiel, les stratégies de réponse des banques se sont articulées autour de deux axes :
- Une acquisition des fintechs.
- Une coopération et des partenariats. Chez nous, les besoins de modernisation du secteur bancaire et financier sont énormes, et les moyens financiers dont disposent les fintechs sont limités pour faire face à des coûts et à des investissements importants et donc à une rentabilité longue. Pour être pérenne, une fintech ne doit pas se limiter au développement d’une simple application mais disposer aussi d’un cadre institutionnel interne et de moyens techniques adéquats pour assurer notamment la maintenance des opérations et la sécurité des données. De plus, pour survivre, la fintech doit disposer d’un marché. Le succès ne se limite pas à un succès économique ; il doit aussi être un succès commercial. C’est un peu la carence actuelle de beaucoup de nos jeunes pousses locales. Aussi, une relation de partenariat et une approche collaborative qui conjugue l’expertise technique des fintechs aux ressources nécessaires des banques me semble la plus appropriée. Les deux institutions sont en effet totalement complémentaires.
Question 7 : On avance souvent que l’avènement des fintechs est accompagné de nouveaux risques ? De quoi parle-t-on au juste ?
Effectivement, les fintechs sont aussi un défi pour les régulateurs dans la surveillance des transactions car elles sont porteuses de nouveaux risques. On peut relever, encore une fois sans être exhaustif :
- Les risques liés à la cybercriminalité.
- Les services de la fintech sont largement offerts via internet. La sécurité des données sensibles et le risque de piratage sont des sujets de préoccupation.
- Le risque d’interruption du service associé aux cyberattaques est aussi bien réel.
- Les risques liés à l’argent occulte ou les questions liées au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme.
- Un potentiel risque systémique plus lointain si les montants transigés au travers des fintechs devenaient chez nous importants. Dans ce cadre, il faudra trouver un juste milieu entre la nécessité de gérer ces nouveaux risques et de protéger les déposants tout en ne tuant pas l’innovation. Cela ne sera pas facile. Lors d’un récent échange sur les réseaux sociaux, un intervenant a proposé une « approche progressive et inclusive, favorisant l’expérimentation tout en encadrant les risques, particulièrement en matière de sécurité des données ». Je partage cette sagesse.
Question 8 : Quels sont les principaux challenges auxquels les fintechs actuellement en service doivent faire face ?
Le principal challenge réside dans le renforcement du cadre institutionnel. Quelques fintechs locales émergent mais elles ne saisissent pas toujours l’étendue du volet sécurité des données dans la durée, notamment dans leur stockage. Cette contrainte n’est pas statique ni ponctuelle, et il est indispensable de disposer d’une infrastructure sécurisée et de procédures rigoureuses. Au-delà de ce volet, on néglige souvent les volets support, maintenance, traitement des relations clients et comptabilité. Tout cela demande une grosse équipe technique dédiée et bien formée qui n’est pas là ou insuffisamment là.
Attention, il ne faut pas uniquement penser au développement d’applications….ce n’est que le début de la route…. Le travail de la cigale…..Mais attention la fourmi doit être là et le chemin sera long. Il en va de la sécurité globale du pays et de la protection des utilisateurs.
Rachid Sekkak
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