Entretien avec Saïd Khenissa : « Le pavillon algérien est blacklisté, et les pertes sont lourdes»
Quand la conformité devient une urgence

Capitaine au long cours, diplômé de l’École Nationale de la Marine Marchande de Saint-Adresse (France), le Commandant Saïd Khenissa dispose de 41 ans d’expérience en opérations maritimes, sécurité, navigation et conformité. Ancien commandant chez Hyproc et Arab Maritime Petroleum Transport Company, il est aujourd’hui expert maritime certifié, spécialisé en conseil, formation et gestion des risques pour le compte de compagnies d’assurance.
Rencontré en marge du Forum maritime d’Alger 2025, il revient pour Algérie Invest sur la problématique des détentions de navires sous pavillon national, les failles systémiques à corriger, et les mesures urgentes à mettre en œuvre pour éviter l’aggravation des pertes économiques et redorer l’image du pavillon algérien.
Entretien réalisé par : KHALED REMOUCHE
Algérie Invest : Quelle est aujourd’hui la situation du pavillon algérien en matière de détention de navires ?
M. Saïd Khenissa : Entre 2021 et 2023, douze détentions de navires nationaux ont été enregistrées. En 2023, on a noté une seule détention, ce qui peut être vu comme une amélioration, mais le problème de fond demeure. Ce sont des situations lourdes de conséquences, et qui traduisent un manque de conformité à différents niveaux.
Quelles sont les principales causes de ces détentions ?
Elles sont multiples et souvent liées à des lacunes internes. On retrouve des éléments liés au facteur humain, à l’absence de procédures claires, au manque de check-lists opérationnelles, à l’insuffisance de veille réglementaire, ou encore à des problématiques sociales à bord (plaintes d’équipage sur les salaires, les conditions de travail, le bien-être). À cela s’ajoutent des non-conformités en matière de sécurité et de sûreté maritime.
Quelle est la durée moyenne d’immobilisation d’un navire en détention ?
Elle est très variable. Un navire peut être retenu pendant toute la durée de son déchargement, ou jusqu’à un mois, selon la gravité de l’observation. Si des réparations sont exigées, cela peut durer bien plus longtemps. Je connais un navire algérien qui est immobilisé depuis huit mois. Ce sont des pertes financières énormes, et cela plombe la rentabilité des compagnies.
Concrètement, quel est l’impact économique d’une détention pour une compagnie comme la CNAN ?
Il est très lourd. Si le navire est affrété, le fret est suspendu, donc les revenus s’arrêtent immédiatement. En parallèle, le navire continue de générer des coûts : frais portuaires, fonctionnement des machines, consommation d’énergie… C’est un gouffre. Ce type de situation explique en partie les difficultés de trésorerie de la CNAN. Quand le navire ne travaille pas, il coûte de l’argent. Si l’on ajoute à cela les retards de paiement aux fournisseurs ou aux réparateurs, c’est un cercle vicieux.
Le pavillon national est-il directement visé par ces contrôles ?
Oui. Ce n’est pas le navire qui est blacklisté, c’est le pavillon. Le pavillon algérien est inscrit sur la liste noire. Cela signifie que, peu importe la compagnie, tout navire sous ce pavillon est ciblé automatiquement par les inspections du Port State Control (PSC). Certains navires algériens sont conformes, performants, comme ceux de Hyproc, la filiale de Sonatrach spécialisée dans le transport d’hydrocarbures. Mais un inspecteur étranger ne fait pas la différence entre Hyproc et la CNAN : ils arborent tous le même pavillon.
Quelles solutions proposez-vous aux compagnies nationales pour éviter les détentions ?
Il faut d’abord mettre en place une veille réglementaire permanente, tenir à jour les procédures à bord, traiter toutes les observations formulées par les contrôleurs, et surtout les partager pour éviter que la même anomalie ne se répète sur un autre navire de la flotte. C’est une logique de transparence, de coordination et d’amélioration continue.
Je recommande aussi de mettre en place des mesures correctives à long terme, d’organiser des audits internes réguliers, et d’intégrer un dispositif formalisé de gestion de la conformité. La CNAN m’a d’ailleurs sollicité pour contribuer à la mise en œuvre d’un système structuré de prévention des détentions, ce que je considère comme une démarche indispensable.
Un dernier mot ?
Si nous voulons redonner de la crédibilité au pavillon algérien, nous devons professionnaliser nos pratiques, valoriser nos équipages, assurer la traçabilité des opérations et investir dans la conformité. Le coût d’une détention est bien supérieur à celui de la prévention.
K.R.