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Energie solaire : regain d’intérêt des investisseurs étrangers pour le marché algérien

Une dynamique industrielle prometteuse freinée par des obstacles structurels

Boukhalfa Yaici, Directeur général du Green Energy Cluster Algeria, revient dans cet entretien sur l’évolution de la filière solaire photovoltaïque en Algérie. Il met en lumière les investissements en cours, les contraintes qui entravent leur concrétisation, l’état d’avancement du programme des 3200 MW, ainsi que les perspectives offertes par l’ouverture au modèle IPP. Si l’intérêt des opérateurs étrangers est manifeste, le succès de la transition énergétique repose encore sur des réformes réglementaires urgentes et une meilleure structuration du marché.

Entretien réalisé par Khaled Remouche

Algérieinvest : Comment voyez-vous l’évolution du secteur des énergies renouvelables principalement la filière énergie solaire et ses perspectives à moyen terme ?

M. Boukhalfa Yaici : Depuis 2023, le marché des énergies renouvelables reste un marché du solaire photovoltaïque dans son volet ‘’grandes centrales photovoltaïques’’ avec le lancement de 3200 MWc en plusieurs tranches par Sonelgaz. Cela a permis aux opérateurs (locaux et internationaux) de s’inscrire dans la dynamique lancée à travers une participation directe (comme les EPCistes) ou via la fourniture de produits / composants / services comme sous-traitants. D’autres segments de marché tels que celui dédié au secteur économique (industriel et agricole), dans le cadre de l’autoconsommation par exemple, ne voient pas le jour faute d’une réglementation qui tarde à se mettre en place en raison des réticences de l’opérateur public national.
De ce fait, le marché se caractérise par sa rigidité puisqu’un seul acteur (Sonelgaz) gère l’ensemble du programme en plus d’autres projets et investissements dans le conventionnel que ce soit pour l’énergie électrique ou pour la distribution du gaz naturel. Beaucoup de projets inscrits chez Sonelgaz avec le risque de ne pas être réalisés dans les délais affichés et de ce fait des priorités peuvent altérer cette dynamique. Il y a urgence à trouver une solution qui permettrait de soulager Sonelgaz en donnant la main à une entité indépendante pour gérer les énergies renouvelables -pas uniquement le solaire photovoltaïque- en travaillant sur des solutions décentralisées ou distribuées. On peut spécialiser le CEREFE (Commissariat aux Energies Renouvelables et à l’Efficacité Energétique) pour assurer la complémentarité avec les grands projets gérés par Sonelgaz.

L’équipe en place chez le CEREFE est en mesure de le faire. Mais il faut d’abord commencer par nommer un nouveau commissaire dont le poste est resté vacant depuis la nomination, en Novembre 2024, du Professeur Noureddine Yassaa au poste de Secrétaire d’Etat chargé des énergies renouvelables auprès du Ministre de l’Energie, des Mines et des Energies Renouvelables.
Les 3200 MWc sont en phase de réalisation. Il y a lieu de travailler dès à présent sur la suite en donnant de la visibilité à toutes les parties prenantes pour ‘’l’après 3200 MW’’ qui devraient permettre le renforcement des volets industriels et des services avec l’objectif de réaliser des projets de qualité dans les délais et avec des tarifs du kilowattheure de plus en plus compétitifs aussi bien au niveau national qu’au niveau régional.

Quel est l’état de l’investissement industriel dans le domaine de l’énergie solaire (projets d’investisseurs nationaux, projet d’IDE, projets d’investissements de nationaux et d’investisseurs étrangers en cours de réalisation, intentions d’investissement) ?

Pour le volet panneaux solaires, une capacité additionnelle opérationnelle de 200 MWc est en place à Ouargla par Zergoun Green Energy qui gère maintenant deux lignes de production totalisant 400 MWc. Une nouvelle ligne de production de 200 MWc sera mise en service dans les prochaines semaines par un membre du Green Energy Cluster Algeria installé dans l’Oranie. Des investissements dans les structures porteuses ont été fait par des membres du Cluster à Ouargla et Oran. Dans cette partie, les besoins en structures seront largement satisfaites par les opérateurs nationaux si les projets sont échelonnés dans leurs programmations. Concernant le verre extra-clair destiné au solaire PV, une usine est en construction à quelques encablures d’Alger. Sa production sera destinée au marché local et à l’exportation.
Concernant la partie IDE, on peut noter que depuis le lancement des 3200 MWc et l’annonce d’un possible appel au financement international via l’article 201 de la loi de finances pour 2025 , un regain d’intérêt se manifeste pour le marché algérien soit pour des investissements industriels ou dans la perspective d’être un opérateur de producteur d’énergie verte qui pourrait vendre son électricité via un contrat de type PPA (Power Purchase Agreement ou contrat de vente d’énergie) soit à Sonelgaz ou à l’opérateur système ou un autre acheteur via un contrat bilatéral de type Corporate.
Beaucoup d’intentions d’investissement se sont manifestées aussi bien par des opérateurs locaux que par de grands acteurs internationaux. Ces nouveaux investissements en Algérie requièrent la satisfaction de conditions qui permettraient au produit local d’être priorisé dans les appels d’offres et de stimuler la création de la supply-chain dont les constituants du panneau solaire (depuis le silicium en passant par la plaquette et la cellule), le verre extra-clair, l’aluminium pour le cadre ou les feuilles de protection des cellules solaires. La conjugaison d’un important marché stable et visible (rôle du secteur de l’énergie comme demandeur) et celui d’un soutien aux intrants et aux produits manufacturés localement (rôle du secteur de l’industrie comme facilitateur) sont nécessaires pour réussir la mise en place d’une industrie locale pour servir le marché local et l’exportation. Le rôle de la R&D viendrait appuyer tous ses efforts pour construire une banse industrielle solide.
Le Cluster avait obtenu l’éligibilité du panneau solaire dans le programme de Sonelgaz mais cela n’avait pas suffi à le rendre compétitif au niveau du prix. C’est pour cela que seulement 80 MWc sur les 3200 MWc seront issus de la production locale. D’autres leviers sont nécessaires pour que les prochains appels d’offres puissent être totalement dédiés aux produits et services locaux dont les panneaux solaires.

Où en est le programme de réalisation de centrales photovoltaiques d’une capacité de 3200 MW ?

Le programme de réalisation des 3200 MW a connu plusieurs péripéties dans son déroulement qui va impacter les délais de réalisation. Ainsi après la signature des contrats en Mars 2024, l’entreprise SHAEMS a été dissoute et de ce fait des avenants ont été signés entre les 5 entreprises lauréates et Sonelgaz Energies Renouvelables comme nouveau contractant. Un premier retard. Avec l’annulation de 3 contrats entre Sonelgaz Energies Renouvelables et le Groupement COSIDER – FIMER, un nouvel appel d’offres portant sur 520 MWc avait été lancé au début de l’année 2025 et les résultats ont été annoncées en Mars 2025. De ce fait, ces 3 lots vont ainsi être raccordés avec un retard de plus de 12 mois.
Pour entamer les études d’Engineering, les entreprises avaient, contractuellement, demandé leurs avances. Elles n’ont pas été remises à temps et les entreprises n’ont pas pu payer des avances à leurs fournisseurs. Autre retard.
On peut aussi ajouter le fait que la chaine d’approbation au sein de Sonelgaz a été un frein dans le déroulement de la phase études puisque trois intervenants étaient quelques fois requis pour approuver les études : Sonelgaz Energies Renouvelables (maitre d’ouvrage) , Sonelgaz Engineering (actant comme maitre d’œuvre) et Sonelgaz TOS (Sonelgaz-Tranport de l’éléctricité et opérateur du système) pour toute la partie réseau de transport et raccordement. Les multiples réorganisations qu’avaient connu Sonelgaz accentuaient encore le flou sur les responsabilités des différentes parties prenantes. Le co-contractant ne pouvait rien faire devant cet état de fait.
Cela a occasionné beaucoup de retards dans les approbations des études retardant automatiquement les commandes des EPCistes auprès de leurs fournisseurs. Puisque rien ne peut être acheté sans l’approbation du maitre d’ouvrage.
Des discussions avec des membres du Cluster concernant le retard des projets me font entendre que la chaine de décision au sein du contractant s’est dramatiquement allongée comparativement au projet des 330 MWc qui avaient été réalisé par l’ex SKTM -entre 2013 et 2017- sur les 330 MW qui avait la gestion du projet et était l’unique interlocuteur du co-contractant. Les relations étaient beaucoup plus fluides et les décisions se prenaient rapidement. Nous espérons que la situation du projet 3200 MWc ira en s’améliorant avec la maitrise du projet par toutes les parties prenantes.
Pour les co-contractants, la maitrise du délai du projet peut être assurée après l’approbation des études. Pas avant. Le co-contractant peut assumer ses responsabilités dans les phases d’Approvisionnement (partie P ou Procurement) et la partie Construction.
Au final, un important retard va toucher les différents lots. D’ailleurs Sonelgaz Energies Renouvelables a intégré cela dans son programme puisqu’elle avait donné un délai supplémentaire.

Quels sont les progrès en matière d’intégration locale et l’implication des acteurs du Green Energy Cluster Algeria dans le programme 3200 MW et les futurs programmes ?

Sur les 3200 MWc, 950 MWc ont été gagnés par des EPC, membres du Cluster. D’autres membres sont dans la partie fournitures de câbles, structures, fibres, boitiers, etc. Le service n’est pas en reste puisque des éléments clés dans la gestion des centrales solaires sont prévus dans ces projets. Grâce à l’obligation de s’approvisionner localement avec un minimum de 35% du prix du projet, cela a boosté l’économie nationale et a permis à nos entreprises de remplir leurs carnets de commande, d’investir et de recruter. Le solaire PV est entrain d’émerger comme un secteur porteur surtout lorsqu’on aligne le programme des 15.000 MW à réaliser d’ici 2035 suivi par le déploiement de la feuille de route de l’hydrogène vert qui va nécessiter 25.000 MW. Cela fait un total de 40.000 MW à installer dont 75% seront d’origine solaire PV. De belles perspectives pour l’économie nationale si la continuité dans le déploiement est assidument assuré.

Comment évaluez- vous les efforts en matière de formation des ressources humaines dans le domaine de l’énergie solaire et en matière d’expertise ?

Le lancement du round de 3200 MWc s’est fait dans l’urgence et n’avait pas permis à toutes les parties prenantes de se préparer aux différentes échéances pour assurer un déploiement efficient des centrales PV. Nos acteurs se sont focalisés sur leurs métiers de base et ont pris des sous-traitants locaux. En termes de profils, il était difficile de trouver des profils spécialisés dans le solaire PV de grande puissance. Un recrutement et une formation en interne s’avère nécessaire pour combler l’absence de compétence dans ce domaine. Par contre, les autres profils dans la construction par exemple sont disponibles. Concernant le gros des recrutements, il se fait localement pour les profils d’exécution.
Les exigences techniques, normatives et réglementaires vont permettre à nos acteurs locaux de se mettre à niveau et de travailler selon les standards internationaux. De ce côté la compétition avec les entreprises chinoises va stimuler l’émergence d’une nouvelle catégorie d’ingénieurs et de techniciens de très bon niveau.

Quelles sont les contraintes qui entravent le développement de l’investissement et de la filière de manière générale ?

Comme déjà expliqué, la première contrainte est liée à la rigidité du marché autour des centrales de grande puissance (50 MWc et plus) qui nécessitent d’avoir des EPCistes financièrement solides avec des capacités de réalisation importantes, etc. En deçà de 50 MWc, aucun projet en perspective. Sonatrach a un portefeuille de projet mais n’a lancé aucun projet depuis plusieurs années.
La seconde contrainte est liée au contrat de Sonelgaz. Ce contrat a été fait pour des opérateurs internationaux et les changements apportés suite à l’intervention du Cluster n’ont été que superficiels.

A cet effet, nous demandons la révision du contrat de Sonelgaz pour les projets solaires afin de tenir compte de la participation des acteurs locaux. Les trésoreries des acteurs locaux sont plus impactées que celles des acteurs internationaux par exemple.
L’autre contrainte à lever rapidement est l’application de la réglementation nationale dans le domaine des enchères ou de l’appel aux investisseurs qui n’a connu aucune application depuis 2017. Cela devrait permettre de travailler sur des projets avec des capacités entre 5 et 10 MWc par exemple en attendant une réglementation pour l’autoconsommation, le solaire distribué etc. Tous ces segments mis bout à bout devraient permettre l’émergence d’un marché annuel de plusieurs centaines de MW destinés au secteur économique avec à la clé la création de centaines d’entreprises et de milliers de postes d’emploi.

La question du financement des programmes de développement de l’énergie solaire est -elle réglée ?

Le programme de 3200 MWc a fait l’objet d’une syndication de la part de la BNA pour financer 90% du montant total. Le reste sera apporté par Sonelgaz. C’est ainsi que 3 milliards de Dollar ont été mobilisé. C’est un effort volontariste et colossal fait par l’Etat pour lancer le programme des EnR. Il faut rendre hommage au Président de la République pour son implication dans le lancement du programme.
Concernant ‘’l’après-3200 MW’’, on parle d’une ouverture au modèle IPP (Independent Power Producer ou Producteur Indépendant de l’Energie) via des contrats IPP en tablant sur un financement type Project Finance dans lequel le financement sera apporté par des investisseurs nationaux ou internationaux. L’ouverture via l’article 201 de LF pour 2025 prendra alors tout son sens pour impliquer les Banques Multilatérales de Développement dans la partie dette par exemple. Le reste des fonds (propres) sera apporté par un ou plusieurs investisseurs.

On peut imaginer l’implication du FNI (Fonds National d’Investissement) dans un tel montage pour réduire les risques avérés ou ressentis par l’investisseur et donc réduire le coût du capital. D’autres leviers doivent être mis en place pour assurer l’alignement de toutes les parties prenantes impliqués dans un tel projet (MEMER, CREG, SONELGAZ, FNI) pour réussir le pari de sortir d’un modèle type EPC vers un modèle type IPP et créer un véritable marché de l’électricité dans notre pays.
Les autorités doivent rapidement engager les réformes réglementaires et les ajustements nécessaires pour que ce nouveau modèle puisse être appliqué au secteur des EnR. Avec un prix de baril en baisse et des besoins énormes en financement pour d’autres secteurs, le risque sera de connaitre un ralentissement du programme si le volet financement n’est pas pris à bras le corps rapidement. On l’a déjà vécu par le passé et on devrait s’en souvenir et ne pas refaire les mêmes erreurs.

K.R.

[1] Art. 201. — Les dispositions de l’article 108 de la loi n° 19-14 du 14 Rabie Ethani 1441 correspondant au 11 décembre 2019 portant loi de finances pour 2020, sont modifiées et rédigées comme suit : « Art. 108. — Le financement de projets d’intérêt national peut être assuré par des institutions financières internationales, bilatérales ou multilatérales, ainsi que par tout autre partenaire financier, sous réserve de l’autorisation préalable du Conseil des ministres. Sont du ressort exclusif du ministère des finances, toutes actions portant sur la recherche de financement au profit des projets d’intérêt national, l’identification des bailleurs de fonds potentiels, de même que l’introduction de requêtes auprès de ces derniers. Les modalités d’application du présent article sont précisées par arrêté du ministre chargé des finances. ».

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