Assurance Takaful : «Un marché qui donne des signes de développement à grand pas»

Publié dans le Journal Officiel n° 14 du 28 février 2021, le Décret exécutif n° 21-81 du 23 février 2021 fixe les conditions et modalités d’exercice de l’assurance Takaful. Composé de trois chapitres totalisant vingt-sept articles, ce nouveau dispositif met en place les notions de base en matière d’assurance « alternative » qui obéit aux principes de la Charia islamique. La Loi de finances pour 2020, dans son article 103, autorise les compagnies d’assurance algériennes à exercer les activités d’assurance sous la forme Takaful. Dans cette contribution M. Chakib Kacimi El Hassani, directeur de la Bancassurance de CAARAMA Assurance nous éclaire sur le pourquoi et les multiples avantages de l’assurance Takaful.
Par Chakib Kacimi El Hassani
L’évolution du contexte financier algérien durant cette dernière décennie et notamment sous l’impulsion des retombées, quoique tardives mais ressenties, de la crise financière mondiale, ont poussé à une reconsidération de son organisation tant en termes de produits que d’activités et qui n’avaient pas connus d’évolution notable par rapport à la dynamique observée chez les pays voisins.
C’est cette tendance qui a entrainé en son sein, une dynamique tendant à réaliser des objectifs multiples, dont l’inclusion financière, le développement du marché financier, mais également la promotion de la « finance alternative » ou finance islamique plus communément appelée. Cette dynamique s’est matérialisée par l’ouverture de plusieurs fenêtres de finance islamique au sein des banques (BNA, CPA, CNEP-Banque et Bank ABC) à la faveur du cadre réglementaire y relatif, ainsi que la récente promulgation de la législation relative aux assurances Takaful.
Pour comprendre le Takaful, il convient d’abord de le définir en soi. Etymologiquement, le terme Takaful est dérivé de la racine « Kafala », désignant la notion de « Garantie » ou plutôt de « Garantie mutuelle », ce qui renvoie vers les idées d’entraide mutuelle entre membres de d’une même communauté. L’assurance Takaful est alors définie comme : « L’assurance islamique qui est un accord entre un groupe de personnes présentant des risques spécifiques imprévisibles auxquels elles peuvent être confrontées. Cet accord, porte sur le versement des contributions à titre de donations et conduit à la création d’un fonds d’assurance qui jouit du statut d’une entité juridique et a la responsabilité financière indépendante. Les ressources de ce fonds sont utilisées pour indemniser tout souscripteur contre un risque prescrit dans le contrat, conformément aux règles et procédures de la police d’assurance ».
Mais en quoi les assurances Takaful sont-elles différentes de celles classiques ? En effet, il existe des différences fondamentales qui font la particularité de l’une par rapport à l’autre, notamment sur les éléments invalidants sur le plan dogmatique, notamment :
- Le fait qu’un contrat d’assurance classique, soit en somme un échange de fonds avancés (primes) contre des fonds à recevoir éventuellement (indemnisations), ce qui fait tomber ce schéma sous le coup du Rîba qui est totalement proscrit par la charia.
- L’issue d’un contrat d’assurance étant par essence inconnue et ce, dans la mesure où ce dernier peut ne donner lieu à aucune indemnisation si aucun sinistre n’est enregistré, ce qui nous met dans une situation d’issue incertaine qualifiée de Gharar dans la jurisprudence des transactions selon la charia.
- Le contrat d’assurance étant également bâti sur la notion de probabilité, donc de l’aléa, il devient invalide à l’aune des principes de la charia étant assimilé au Maysir.
- Et en dernier, les avoirs des compagnies d’assurance ne sont pas toujours employés dans des utilisations qui sont conformes à la charia, notamment, les placements mobiliers qui sont générateurs d’intérêts qui en font des revenus invalides, donc Haram.
La proposition de valeur actuellement pratiquée par les compagnies d’assurance, apparait clairement en décalage avec les canons de la jurisprudence des transactions (Fiqh Al Mouamalat) suivant la loi coranique et qui fait que l’assurance Takaful vienne combler ce décalage et e poser comme alternative aux assurances classiques, sur leur aspect de montage, mais résolument identiques sur le plan de la technicité assurantielle. Il n’en demeure pas moins que l’assurance Takaful est différente de celle conventionnelle à plus d’un titre, notamment :
- Séparation des fonds: Le propre des compagnies Takaful est la gestion de deux fonds, dont l’un est destiné aux participants et l’autre à l’opérateur Takaful et qui sont totalement indépendants. Le fonds des participants est alimenté par les primes d’assurance payées par ces derniers et qui prennent la forme de donations afin de contourner l’interdit relatif au Gharar et Riba. Ces primes servent à couvrir les sinistres subis par les participants, ainsi que les charges du fonds.
- Engagement de versement des bénéfices: L’opérateur Takaful étant gestionnaire du fonds des participants, ce dernier est tenu de redistribuer les bénéfices de ce fonds entre les participants, suivant les modalités généralement admises et adoptées par les organes de gouvernance.
- Evitement des actifs non conformes : La gestion du fonds des participants, implique le placement des excédents dans des actifs, qui ne devraient pas être impérativement entachés d’un des interdits. Aussi et afin d’assurer la conformité des placements, les compagnies Takaful utilisent deux niveaux de filtres dans la sélection de leurs actifs de placement, un premier filtre qualitatif et le second quantitatif.
- Mise en place d’organes de gouvernance charaïque : Les entités Takaful sont distinguées par un schéma de gouvernance bicéphale, où à côté des organes de gouvernance généralement connus tels que le Conseil d’Administration ou le Directoire, figure un comité appelé, Charia Board. Il est en réalité un comité de surveillance et de conformité, chargé de se prononcer sur la conformité des produits de l’entité Takaful, ainsi que celle des opérations effectuées par cette dernière durant une période considérée.
A partir des données supra, les éléments de contexte du marché des assurances et de l’économie en général, sont-ils en faveur du développement du Takaful ? D’emblée, nous pouvons dire oui. Oui, pour les raisons suivantes :
En premier lieu, le faible taux de pénétration des services financiers en Algérie et ceux des assurances en particulier qui se situe à 0,72% en 2017, comparativement à la Tunisie avec 2,04% et le Maroc qui affiche 3,49%, peut être perçu comme étant une opportunité de développement au vu du potentiel que représente la partie non couverte du marché.
Cette idée est corroborée par le fort taux de croissance du marché des assurances en général et ce, en dépit de la période de récession que connait l’économie algérienne. Cette dynamique de croissance est un élément favorisant dans le sens du potentiel qui reste à exploiter dans le domaine des assurances.
En second lieu, il est à remarquer un regain d’intérêt de la société algérienne pour la conformité et le conformisme avec les préceptes de l’islam et ce, dans la vie économique des individus. C’est que certaines tendances, jusque-là limitées, ont été observées, notamment à travers la renonciation aux intérêts servis par les banques, l’évitement des financements conventionnels et le recours de plus en plus important aux institutions financières affichant une conformité avec les préceptes de la Charia. Ce constat est corroboré par les statistiques qui font état que 49% des algériens sont prêts à payer plus cher, le même service financier, si ce dernier est conforme aux préceptes de la Charia.
En troisième lieu, le développement d’internet a eu pour conséquences :
- Diffusion à large échelle de l’information est plus rapide aux clients, qui deviennent par conséquent plus au courant et plus exigeants. Ce point peut être un levier de développement, comme il peut agir comme un retour de manivelle en cas de dysfonctionnement ou d’expérience client non concluante.
- Diffusion de la culture d’assurance via les possibilités qu’offre le web, notamment les réseaux sociaux qui garantissent une large audience et un accès à de larges franges de la population.
- Développement des services en ligne, qui permettent de toucher un plus grand nombre de clients, sachant que l’Algérie compte plus de 47 millions de connexions mobiles à internet. Ceci passe par le développement du mobile et de l’accès à internet qui peut permettre d’accéder à des clients ne faisant pas partie du portefeuille des compagnies d’assurance, et qui constitue un potentiel non négligeable de près de 25 millions de mobinautes, soit près de 56% de la population du pays.
- Le cadre légal relatif au Takaful en Algérie récemment promulgué et qui traite des principales questions relatives à la mise en place de cette activité, notamment les aspects conceptuels, contractuels, organisationnels et de contrôle.
Le marché des assurances Takaful, et en dépit du fait qu’il ne soit pas encore né en Algérie, donne des signes de développement à grands pas aussi bien dans la région du Moyen-Orient que chez nos voisins au Maroc et en Tunisie. Ceci pour dire les potentialités très importantes de ce segment naissant, couplées au taux de progression très important des assurances de en Algérie.
Ce contexte présentant des données factuelles favorables ainsi que l’analyse des éléments de contexte, tendent à mettre en avant la nécessité de la concrétisation de la mise en œuvre des assurances Takaful par les compagnies d’assurance et qui permettrait de capter une partie importante du volume d’affaires que va créer cette activité naissante et ce, compte tenu de tous les éléments positifs précités.
Un benchmark avec le marché tunisien et marocain, qui connaissent un taux de maturité plus avancé que le nôtre, nous permet de conclure qu’une offre de produits qui serait globale, pertinente et répondant aux besoins les plus courants, est la pierre d’achoppement du développement des assurances Takaful en Algérie.