Ali Bey Nasri à Algérie Invest : « L’IATF doit marquer le vrai départ de l’exportation algérienne à grande échelle »
L’expert appelle à un plan national d’exportation par filière, fondé sur les résultats concrets de l’IATF 2025.
Dans cet entretien accordé à Algérie Invest, l’expert en commerce extérieur Ali Bey Nasri revient sur les résultats marquants de la 4e édition de l’IATF 2025 organisée à Alger. Pour lui, cette foire continentale a permis à l’Algérie de démontrer la richesse de son tissu industriel et de présenter son savoir-faire dans des secteurs clés comme l’énergie, les infrastructures, l’électroménager ou encore la pharmacie. Il estime que l’IATF doit désormais servir de point de départ pour élaborer un plan national d’exportation par filière, à même de porter les ambitions de l’Algérie à l’horizon 2030. Il évoque également les contraintes réglementaires qui freinent encore l’implantation des entreprises à l’étranger, la construction de showrooms et l’exportation de médicaments, tout en appelant à des réformes structurelles pour soutenir l’élan de l’après-IATF.
Entretien réalisé par: Khaled Remouche
Algérie Invest : La quatrième édition de l’IATF a-t-elle répondu aux attentes ?
Ali Bey Nasri : La quatrième édition de l’IATF à Alger est très importante pour l’Algérie. C’est une première dans la mesure où elle a permis à notre pays de présenter aux représentants et opérateurs d’un ensemble de pays africains son potentiel industriel qui est très diversifié visible à travers les différentes filières notamment l’électroménager, le BTPH, l’énergie, le machinisme agricole. Le tissu industriel diversifié est devenu une réalité en Algérie.
L’IATF, c’est d’abord un grand évènement au niveau continental. Tous les participants africains reconnaissent que la 4ᵉ édition de l’IATF qui s’est tenue à Alger du 4 au 10 septembre a été un succès sur le plan organisationnel. Ils sont étonnés par l’importance de l’industrie algérienne.
Ils ont été impressionnés par la qualité de l’organisation, de la prise en charge. C’est en fait un évènement qui a nécessité l’implication des responsables au plus haut niveau de l’État. L’IATF a mobilisé toutes les institutions du pays, un très grand nombre d’entreprises locales. Il s’agit d’un effort national.
Il faut signaler la disponibilité du Président de la République qui a joué le rôle de modérateur dans un panel. C’est pour première fois que dans un IATF un chef d’État s’implique directement. Nous avons donc pris de manière très sérieuse l’impact international de cette manifestation.
La quatrième édition de l’IATF a été finalement une réussite au plan politique, diplomatique et au plan économique.
Quelles sont les tendances lourdes qui se sont affichées au cours de l’IATF ?
Le chef de l’État, dans son intervention lors de l’IATF, a tracé une trajectoire qui est celle de notre profondeur stratégique, qui est l’Afrique, et a abordé l’intégration de la chaîne des valeurs africaines. C’est une orientation directe adressée au gouvernement.
Concernant les tendances, les grands secteurs — au premier chef l’énergie —, les grandes entreprises Sonatrach et Sonelgaz ont fait valoir l’expertise algérienne en matière d’énergie. Sonatrach a mis en avant son expertise unique en Afrique, en particulier en matière d’exploitation pétrolière et gazière, sachant que des pays sont en train de réaliser des découvertes d’hydrocarbures. Je citerai le Sénégal et la Mauritanie.
Ces pays ont à leur proximité un pays qui peut mettre à leur disposition cette expertise tirée de 60 ans d’expérience. Nous comptons mettre à disposition des pays africains cette expertise. Des projets de contrats dans ce sens sont en voie d’être conclus.
En ce qui concerne Sonelgaz, qui est une entreprise à échelle continentale, elle détient également une expertise qu’elle a déjà mise à la disposition de certains pays africains. En l’occurrence, en Libye, Sonelgaz a fait redémarrer des centrales électriques. Sonatrach et Sonelgaz sont les fers de lance de cette « exportation d’expertise ».
L’Afrique souffre d’un manque en énergie. Le taux d’électrification en Afrique est le plus bas au monde. C’est l’une des grandes insuffisances du continent. L’Algérie a là un très grand marché.
Nous avons acquis, en outre, maintenant une expertise dans le domaine du dessalement d’eau de mer. Nous pouvons mettre cette expertise à la disposition de pays africains, sachant que beaucoup de pays du continent souffrent de sécheresse.
L’énergie donc peut constituer une offre algérienne à la disposition des pays africains, sachant que l’énergie permet de développer l’économie.
Nous avons aussi tout ce qui est BTPH et tout ce qui est ouvrages d’art. L’Afrique souffre d’un manque d’infrastructures, notamment les routes, autoroutes et voies ferrées. Dans le matériel ferroviaire, les Africains ont vu le degré de maîtrise de l’Algérie dans ce domaine. Là aussi, nous pouvons mettre à leur disposition notre expertise.
Cosider a une expertise dans la réalisation des infrastructures : routes, voies ferrées, ouvrages d’art. Nous sommes, en outre, autosuffisants en matière de matériaux de construction. Nous avons une maîtrise dans le domaine des études. Cette expérience est due aux programmes très importants de construction de logements.
Quant au secteur du médicament, il y a eu des contrats signés. Nous sommes l’un des marchés les plus importants en Afrique. Nous avons 218 entreprises dans le domaine de la production du médicament avec un taux d’intégration de 70 %. Le secteur pharmaceutique a donc vocation à exporter.
On enregistre cependant des contraintes persistantes à l’exportation du médicament, s’agissant notamment de l’enregistrement des médicaments et des autorisations de mise sur le marché. Elles seront levées, me semble-t-il, prochainement pour permettre l’exportation de quantités plus importantes de médicaments.
Quelles sont ces contraintes ?
La principale contrainte est de pouvoir financer l’enregistrement du médicament et l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Quand vous devez introduire un médicament dans un pays, vous devez obéir à certaines conditions qui sont celles de l’enregistrement du produit et de l’autorisation de mise sur le marché. Ces derniers nécessitent un financement.
L’octroi de ce financement dépend de l’autorisation du Gouverneur de la Banque d’Algérie. Ces frais peuvent représenter 6 000 à 8 000 euros concernant l’enregistrement du médicament. La réglementation des changes ne permet pas l’octroi de ce financement. Ce n’est pas normal.
Il y a aussi le problème du retrait des médicaments périmés. Les pays exigent que ces médicaments soient remboursés. La réglementation des changes ne permet pas ces remboursements.
Il y a donc des contraintes lourdes au développement des exportations des médicaments. Il faut que les autorités les prennent en charge.
Concernant l’électroménager et la céramique, nous avons une production importante qui a toute légitimité à exporter. Mais pourquoi les opérateurs ne peuvent pas le faire ?
Parce que la réglementation des changes, le règlement 14-04, ne donne pas de facilitations pour l’installation de sociétés algériennes dans la réalisation de réseaux commerciaux. Pour l’électroménager et la céramique, il faut des showrooms. Cette réglementation empêche de créer des showrooms à l’étranger.
Là, contrairement à l’investissement dans la production, cela ne touche pas les réserves en devises. C’est avec leurs propres comptes devises que ces exportateurs veulent construire ou louer des showrooms. Ils ne peuvent pas le faire jusqu’à présent.
Quelle est votre réaction par rapport aux résultats de la quatrième édition de l’IATF : 11,4 milliards de dollars de contrats signés entre entreprises algériennes et entreprises d’autres pays africains ?
Il y a aussi des accords d’investissement. Maintenant que cette foire s’est clôturée, le plus important est de faire un bilan.
Chaque ministère devrait faire l’évaluation de son potentiel d’exportation effectif et élaborer un plan d’exportation pour atteindre l’objectif d’exportation de 29 milliards de dollars à l’horizon 2030.
Chaque ministère doit présenter un plan d’exportation à partir notamment des contacts réels et des contacts futurs issus de l’IATF. On doit avoir un plan d’exportation élaboré par chaque ministère.
Ce n’est pas uniquement le ministère du Commerce qui devrait gérer la cohérence des filières. Le chantier pour parvenir à ces 29 milliards de dollars doit commencer à partir des résultats issus de cette quatrième édition de l’IATF.
L’exportation à grande échelle, la diversification en termes d’offre doit commencer à partir de l’IATF. L’évaluation des résultats de l’IATF concernant chaque filière doit être effectuée par le ministère concerné avec les opérateurs.
Parce qu’il y a ce qu’on appelle les contrats signés et les contrats futurs. Il y a, en un mot, les contrats qui ont été conclus au cours de l’IATF et les prévisions de contrats.
Comment commentez-vous les résultats de cette quatrième édition de l’IATF ?
L’ambition de l’Algérie au cours de cet événement est de décrocher 10 % des 46 milliards de dollars attendus de contrats commerciaux au cours de cette manifestation.
(Selon l’Afreximbank, 48 milliards de dollars de contrats commerciaux signés ont été enregistrés dans cette édition ; l’Algérie, à l’issue de l’événement, a décroché 11,4 milliards de dollars de contrats commerciaux).
Le plus important est que l’Algérie fasse le bilan de cette édition et qu’elle élabore un plan national d’exportation à partir de l’IATF.
On doit fructifier ces contrats. On doit lever les contraintes des opérateurs qui ont signé des contrats commerciaux à l’IATF. C’est impératif.
Il y a un appel notamment des entreprises sénégalaises pour que les contrats commerciaux conclus avec des entreprises algériennes soient suivis par des investissements de ces entreprises nationales dans leur pays.
La réglementation des changes algérienne n’interdit pas ces investissements dans les pays africains. Mais les conditions exigées par la réglementation des changes pour investir à l’étranger sont contraignantes.
C’est clair. Avec cette réglementation, on ne peut avoir des entreprises algériennes qui investissent à l’étranger. La révision du règlement 14-04 devient urgente.
On a besoin de se déployer à l’international sur le plan commercial et sur le plan investissement. C’est impératif.
Il faudrait un bilan de toutes les intentions de signature de contrats commerciaux, d’investissement, un bilan des réalisations qui vont déboucher sur un plan exportation pour parvenir aux 29 milliards de dollars. Les responsables des secteurs et les opérateurs doivent se réunir en ce sens.
Selon vous, la 4ᵉ édition de l’IATF est-elle une réussite sur tous les plans ?
Selon mon point de vue, c’est une réussite totale pour l’Algérie, en matière organisationnelle, en matière médiatique, en matière de visibilité du potentiel économique algérien dans toutes ses dimensions.
Quel serait l’impact des résultats de la 4ᵉ édition de l’IATF sur l’expansion de nos exportations hors hydrocarbures ?
Au moins, en tant qu’observateur, l’IATF doit marquer le démarrage réel des exportations algériennes en matière de volume.
Parce qu’on est arrivé à 5 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures représentés par cinq produits : notamment les fertilisants, le rond à béton, le clinker, le ciment.
Maintenant, on va aller vers la diversification de notre offre exportation. Quand on prend le médicament, on exporte pour 8 millions de dollars seulement, pour un chiffre d’affaires du marché pharmaceutique estimé à 4 milliards de dollars.
Les entreprises du secteur du médicament doivent s’orienter vers l’exportation. Les importations de médicaments tournent autour de 1,5 milliard de dollars – 2 milliards de dollars.
Nous devons donc ramener de la devise. D’autant que nous avons un important potentiel à l’exportation dans le domaine du médicament, sachant que nous allons produire de l’insuline.
On devra demander également aux entreprises de présenter éventuellement ce que l’État peut faire en matière de facilitations à l’exportation.
K.R.



