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«Algérie Poste représente un immense potentiel pour une meilleure inclusion financière» (M. Rachid Sekak)

Faisant le constat qu’un grand nombre des travailleurs, dans notre pays, retirent la totalité de leur paye le jour même du virement du salaire, le conseiller en finances et banques appelle à des efforts complémentaires pour réduire la «désinclusion financière». Il cite, entre autres, les paiements électroniques, le digital Banking et les produits d’incitation à l’épargne, notamment autour du logement.

M. Sekak salue le travail mené dans ce sens par le ministère de la Poste et des TIC, via notamment Algérie Poste qui compte désormais plus de 4100 bureaux et environ 22 millions de comptes actifs, à travers le pays. Il affirme que nous avons là un magnifique outil pour disséminer de nouvelles habitudes et une nouvelle culture financière.

Interrogé sur l’annonce faite récemment d’ouvrir des bureaux de change au cours de cette année 2023, le spécialiste en finances affirme qu’il ne peut se prononcer sur le sujet du moment que le concept même du bureau de change n’a pas été défini. M. Sekak s’interroge toutefois sur le modèle de bureaux de change prévus et leur périmètre d’intervention dans un contexte de non convertibilité du dinar.

Par ailleurs, soutient le financier, l’arrivée de la monnaie électronique et des prestataires de paiements, dans le cadre du projet de loi sur la monnaie et le crédit, est quelque chose de positif.

Entretien réalisé par Hakima Laouli

Algerieinvest : Le Gouverneur de la Banque d’Algérie a annoncé l’ouverture de bureaux de change au cours de cette année 2023. Pensez-vous que c’est chose réalisable dans le contexte économique actuel ?

M. Rachid Sekak : J’ai entendu les déclarations du Gouverneur de la Banque d’Algérie et il me paraît préférable d’attendre pour s’exprimer sur le sujet, étant donné que le concept de bureau de change n’a pas été défini. Quel modèle de bureaux de change et quel périmètre d’intervention sont-ils prévus dans un contexte de non convertibilité de la monnaie? Est-ce que les taux qui seront appliqués par ces officines seront totalement libres? Notre pays aurait-il un double taux de change? De trop nombreuses inconnues subsistent. Ces bureaux de change ont été annoncés de nombreuses fois, des agréments ont été donnés mais nos compatriotes continuent de constater la «réalité du square». Alors, attendons !

Quelles sont vos propositions pour la convertibilité du dinar algérien ?

Le chemin critique vers la convertibilité de notre monnaie est connu depuis très longtemps. Pour faire simple, disons qu’il s’agit de sortir d’une économie de rente et de construire une vraie économie de production de biens et de services associée au maintien d’équilibres macroéconomiques au plan interne (finances publiques) et au plan externe (balance des paiements). Force est de constater que nous sommes loin, très loin «du compte».

La convertibilité totale de notre monnaie ne se proclame pas, elle se construit dans la durée à travers un programme de réformes structurelles de longue haleine, souvent douloureux.

En même temps, cette convertibilité pourrait être aussi un objectif ambitieux partagé par l’ensemble de nos compatriotes malgré les lourds sacrifices qui lui sont associés, au moins temporairement.

Récemment, vous êtes intervenu sur le sujet d’inclusion financière. Vous avez préféré plutôt employer l’expression «éviter la désinclusion financière». Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Effectivement. J’ai aussi relevé que la circulation fiduciaire hors banque et sa captation fait rêver. Les 7124 milliards de dinars, à  juin 2022, sont devenus un véritable fantasme. Chacun y va de sa petite musique pour ce montant qui représente un tiers de la masse monétaire et 30% du PIB du pays. Que voulons-nous dire par inclusion financière, souvent confondue avec bancarisation ? 

La Banque mondiale relève que 4 facteurs mesurent le degré d’inclusion financière d’un pays : l’accès de la population aux services financiers, le niveau d’épargne bancarisée, l’accès au crédit et les paiements digitaux.  

Chez nous, certaines données interpellent, entre autres :

  • 11.6 millions de comptes bancaires en DZD dont un peu plus de 10.3 millions pour les particuliers (2021)
  • 22 millions de comptes actifs à Algérie Poste
  • Plus de 4 millions de comptes devises
  • Environ 3 millions de cartes CIB en circulation
  • Environ 9 millions de cartes EDAHABIA en circulation
  • Plus de 3100 DAB/ GAB bancaires

A contrario de ces données tangibles, il est possible de dresser un constat. Je veux parler d’une pratique très répandue chez nous : le salaire viré le 24 au matin, sur un compte bancaire ou chez Algérie poste, et totalement retirée le 24 dans l’après-midi.

Nous sommes donc, pour la plupart de nos compatriotes, en face d’un souci bien particulier : comment réduire cette désinclusion financière ? L’argent rentre sur les comptes mais ressort aussi vite.

Dans ce cadre, j’ai signalé que trois axes d’efforts complémentaires paraissent fondamentaux :

  • Le renforcement des paiements électroniques, notamment le Online Payment.
  • Le digital Banking qui signifie l’accès aux services bancaires sans contraintes liées au temps et à l’espace.
  • Les produits d’incitation à l’épargne, notamment autour de l’accès au logement.

Bien évidemment, une partie de nos compatriotes ne sont pas bancarisés. Soit les plus démunis, notamment dans les campagnes, les jeunes inactifs et les femmes. Cette non-bancarisation relève d’une multitude de facteurs :

  • Un réseau bancaire non adapté et géographiquement déséquilibré.
  • Des exigences financières et administratives élevées (KYC) pour une ouverture de compte.
  • Un segment de la population qui n’intéresse pas les banques.

Mais avons-nous quantifié, évalué avec précision cette population ? Pour ce segment de la population, le levier le plus porteur pour une inclusion financière relève, à mon avis, plutôt du développement de la monnaie électronique.

Par monnaie électronique, il faut entendre «une réserve d’argent stockée sur un compte et accessible sur un téléphone mobile». C’est, en quelque sorte, un compte prépayé. On parle de porte-monnaie électronique (ou de Wallet).

Le Wallet est, tout simplement, une utilisation de monnaie fiduciaire existante. En effet, l’établissement de monnaie électronique (EME) qui peut être une banque, un opérateur de téléphonie mobile, une fintech ou une autre institution agréée par la Banque Centrale, dépose la contrepartie en monnaie fiduciaire de la monnaie électronique émise auprès d’une banque. Il y a compte de cantonnement.  

L’arrivée de la monnaie électronique et celle des prestataires de paiement (PSP) annoncée par la nouvelle mouture de la loi bancaire est un point positif à relever.

A la même rencontre organisée au CIC d’Alger, vous avez déclaré que la modernisation du système financier viendra du ministère de la Poste et des TIC, ainsi que d’Algérie Poste, et non des banques. Est-ce à dire que le rôle des banques est secondaire ou que ces banques sont incapables d’effectuer le changement ?

Oui, une belle impulsion pourra venir du ministère de la Poste et des TIC, notamment au travers de ses efforts dans le renforcement des infrastructures technologiques comme celles du mobile haut débit et dans la réduction de certains gaps techniques touchant la connexion internet fixe et mobile, très souvent trop lente .

Par ailleurs, Algérie Poste représente un immense  potentiel pour une meilleure inclusion financière. Algérie Poste est présente partout, avec ses 4162 bureaux et environ 22 millions de comptes actifs. Elle représente le double de la totalité des comptes bancaires. Cela représente un énorme capital confiance. Son application mobile BaridiMob est opérationnelle et peut potentiellement convertir 22 millions de personnes. Nous avons là un magnifique outil pour disséminer de nouvelles habitudes et une nouvelle culture financière. Profitons-en !

Quelle est votre lecture du projet de loi sur la monnaie et le crédit ?

Le projet de texte est toujours en discussion. Toutefois, à la lecture du document qui circule, trois points importants sont à  relever, le premier étant le retour à l’esprit de la LMC de 1990, avec la réintroduction d’un mandat de quatre années pour le Gouverneur et les deux Vice-Gouverneurs.

En deuxième lieu, nous observons la volonté d’un retour à plus d’orthodoxie dans les relations entre la Banque d’Algérie et le Trésor public, avec le retour à une ancienne règle : la Banque d’Algérie pourra consentir des avances en compte courant au Trésor, d’un montant maximal de 10% des recettes ordinaires du précédent exercice et ce, pour une période maximale de 240 jours.

Enfin, Le projet consacre l’arrivée de nouveaux acteurs : banques digitales, banques d’affaires, bureaux de change, prestataires de services de paiement (PSP), intermédiaires indépendants de courtage. A noter néanmoins que les modalités d’agrément, de création et de fonctionnement de ces nouveaux acteurs seront fixées par règlements ultérieurs de Conseil de la monnaie et du Crédit.

H. L. 

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