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Souveraineté maritime : Ramdane Ammour appelle à moderniser la flotte nationale face aux défis environnementaux et économiques

"5 Milliard de dollars est le coût du fret payé en devises par l’Algérie"

Dans un contexte où le secteur maritime mondial est soumis à des exigences environnementales de plus en plus strictes, Ramdane Ammour, expert en transport et logistique, souligne la nécessité pour l’Algérie de renforcer sa flotte nationale. Dans cet entretien, il analyse les enjeux de la réforme du Code maritime algérien, les impacts des conventions internationales sur le pavillon algérien, et les défis posés par l’augmentation des coûts de fret liés aux réglementations sur les émissions de CO2. Pour Ammour, investir dans une flotte propre et des formations spécialisées est crucial pour assurer la souveraineté économique du pays et limiter les dépenses en devises. 

Entretien réalisé par : Khaled Remouche

Algérie Invest : Quelle est votre appréciation sur l’ouverture plus grande à court et moyen terme du marché national du transport maritime ?

M. Ramdane Ammour  : De ce que nous avons appris par la presse, le Code maritime algérien est en cours d’amendement pour permettre à des opérateurs nationaux de faire de l’affrètement sans être au préalable propriétaire de navire. Nous ne pouvons qu’applaudir cette décision qui met fin à des décennies d’ambiguïté liée à l’application des articles 649 et 572 du Code maritime. Mais nous n’avons pas encore les détails des amendements apportés. Est –ce que tous les types d’affrètements sont concernés ? Quelles sont les conditions requises pour exercer l’activité d’affrètement, etc… ?

Quel est l’impact des nouvelles dispositions inhérentes aux conventions maritimes internationales sur le secteur du transport maritime algérien ?

C’est une question extrêmement importante. La règlementation internationale dans le domaine maritime devient de plus en plus sévère et touche à toutes les activités liées au transport maritime et à la protection de l’environnement marin. Nous pouvons citer les conventions SOLAS, MARPOL, MLC etc…Ce qu’il faut comprendre aussi est que l’application de ces conventions ne relève plus que de l’Etat du pavillon comme cela été avant 1982 mais le contrôle se fait aussi par l’Etat du port, avec comme conséquence la détention du navire en cas de non-conformité majeures détectée à bord du navire.

Désormais, toutes les fonctions à bord et à terre sont concernées si on veut éviter les immobilisations de navires et les sommes faramineuses qu’il faudra dépenser pour faire face aux levées des non-conformités sans compter la mauvaise image de marque de la compagnie et du pavillon national que cela risque d’entrainer.  A l’instar des autres secteurs, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) met l’accent sur l’efficacité énergétique des navires pour diminuer le rejet des gaz à effet de serre avec comme objectif zéro rejet en 2050. Pour cela, cette organisation internationale a mis en place entre autres deux indicateurs que sont l’Energy Efficiency eXisting ship Index (EEXI) et le Carbon intensity indicator (CII). Les navires devront satisfaire aux recommandations de l’OMI dans ce domaine au risque de se voir interdit de navigation à très court terme.

Comment voyez- vous l’application en Algérie des standards internationaux en matière de gestion portuaire ?

Un audit des ports a été réalisé récemment par le Bureau d’études national SETIC, je pense que c’est un travail qui pourrait servir de base pour l’amélioration de la gestion portuaire de manière globale. Il existe aussi des indicateurs dans ce domaine publiés par des organismes internationaux qui pourrait servir de cibles tels que ceux publiés par la CNUCED. On y trouve la moyenne mondiale des temps de séjour au port, le temps moyen d’attente (en 2024, il est en moyenne de 10heures pour les pays en voie de développement), le temps moyen pour un mouvement de conteneur (en 2023 pour les porte-conteneurs de 500 à 1000 EVP la moyenne est de 4,2 minutes par conteneur) etc… L’Algérie aussi manque de port en eau profonde. Vous savez qu’il y a une corrélation entre le tirant d’eau et la taille du navire. Du fait que nos ports ne peuvent recevoir que des navires de taille modeste, nous perdons sur l’économie d’échelle, c’est un des critères qui font que le fret vers l’Algérie est relativement cher.

Les conventions maritimes internationales sur les conditions de travail des marins à bord des navires ne risquent-ils pas de pénaliser le pavillon national ?

Avec les conventions SOLAS, STCW et MARPOL, la convention MLC de 2006 fait partie des quatre textes de portée mondiale sur le transport maritime. Il existe deux conventions internationales qui traitent des conditions de travail à bord des navires, ce sont les conventions MLC et STCW quoique cette dernière est plutôt tournée vers la formation, la délivrance des brevets et la qualification des marins même si elle traite tout de même de la tenue du service de quart (Watchkeeping).  La convention du travail maritime de 2006 (en abrégé convention MLC) issue de l’Organisation internationale du Travail (OIT), établit des conditions minimales de travail et de vie à bord pour les gens de mer. Elle vise l’instauration de conditions de concurrence loyales entre armateurs. Elle énonce les droits des gens de mer à des conditions de travail décentes pour ce qui est de la quasi-totalité des aspects de leurs conditions de travail et de vie : âge minimum, contrat d’engagement maritime, durée du travail ou du repos, paiement des salaires, congé annuel rémunéré, rapatriement en fin de contrat d’engagement, soins médicaux à bord, recours à des services de recrutement et de placement privés, logement, alimentation et service de table, protection de la santé et de la sécurité et prévention des accidents, et procédures de traitement des plaintes des gens de mer.  La convention MLC est entrée en vigueur le 20 août 2013. Elle est ratifiée par l’Algérie le 22 juillet 2016. Actuellement 108 Etats dont la flotte représente 96.6 % de Jauge brute de la flotte mondiale ont ratifié  la convention MLC.
Cette convention a apporté beaucoup dans l’amélioration des conditions de travail et de vie à bord des marins du monde entier. Elle ne constitue nullement un handicape pour l’armement national qui a toujours été un précurseur dans la prise en charge des marins, en témoigne le code maritime algérien qui renferme plusieurs articles dédiés au travail et à la vie à bord des marins. Maintenant, il appartient aux armateurs de veiller à l’application de la convention par des contrôle périodiques à bord notamment dans le cadre du SMS, par les audits périodiques, les revues de capitaines, les différents check-lists…

Comment empêcher les fréquentes saisies des navires nationaux dans les ports étrangers ?

Ici, il faut distinguer entre la saisie conservatoire qui est une immobilisation ou une restriction au départ d’un navire en vertu d’une ordonnance sur requête rendue par une juridiction pour garantir une créance maritime et la détention d’un navire par l’Autorité portuaire du port d’escale suite à une inspection et à une détection de non-conformités majeurs liées aux différentes conventions internationales (SOLAS, MARPOL, MLC etc..).

Pour la saisie conservatoire cela engage en premier lieu les différents services de l’entreprise de transport maritime pour un suivi adéquat et permanent des créances pour anticiper leurs règlements avant d’arriver à la saisie notamment par le règlement à l’amiable. En ce qui concerne la détention des navires par le PSC (Port state control), il faut signaler que nous sommes classés sur la « Black List » avec 12 détentions sur 76 inspections pour la période 2021 -2023 ceci dans le cadre du Paris MoU (Memorandum of Understanding on Port State Control) pour la région Europe. Dans le programme d’inspection par le PSC, le critère risque est le premier qui est pris en considération. Notre pavillon est donc particulièrement visé. Il faut donc faire en sorte de quitter la Black List le plus tôt possible, alors nos navires seront soumis à moins de pression et certainement à moins de détentions.

Quelles seront les tendances d’évolution à court et moyen terme du transport maritime international que l’Algérie devrait anticiper ?

Pour la période 2024 – 2029, les prévisions de croissance du commerce maritime mondial devraient se situer autour de 2,4 % avec un taux de 2,7% pour les marchandises conteneurisées (selon le rapport de la CNUCED). On peut noter que la demande de vrac sec est en constante évolution notamment pour les céréales, tirée par la demande alimentaire mondiale croissante et la croissance démographique.

Les nouvelles réglementations environnementales introduites par l’OMI et l’Union européenne ont un impact sur les coûts d’exploitation et les taux de fret du transport maritime et devraient continuer d’influencer la dynamique du secteur. Le respect des mesures à court terme de l’OMI, telles que l’indicateur d’intensité carbone (CII), signifie des vitesses de navire plus lentes, en particulier pour les navires moins économes en énergie, et des délais de mise à niveau plus longs pour les technologies économes en énergie. Si cela se prolonge, cela pourrait entraîner de nouvelles contraintes du côté de l’offre, ce qui aurait un impact sur les taux de fret.

Début 2024, le transport maritime a été inclus dans le système ETS de l’Union européenne, qui, pour la fois, a imposé un coût aux émissions de carbone maritimes. Cette inclusion a conduit les opérateurs à introduire des surtaxes pour couvrir les coûts supplémentaires de CO2 facturés aux chargeurs. Dans le cadre du SCEQE (Système Communautaire d’Echange de Quotas d’Emission), les navires devront payer 40 % de leurs émissions en 2024, puis 70 % en 2025 et 100 % en 2026. Ces coûts croissants du SCEQE auront un impact sur le secteur du transport maritime, et entraîneront probablement une hausse des tarifs de fret, que les transporteurs continueront de répercuter sur les chargeurs et, en fin de compte, sur les consommateurs.

Aussi, les nouveaux carburants nettement plus chers qui devront se substituer peu à peu aux carburants d’origine fossile devront aussi se répercuter sur les couts de fret.  Il est donc clair que notre pays doit se doter d’une flotte de navires, en premier lieu de type vraquiers pour amortir les coûts du transport maritime déjà exorbitant que l’Algérie paye en devises à des armements étrangers.

Que préconisez-vous pour renforcer la formation dans les nouveaux métiers du maritime et le recyclage des cadres et gestionnaires du secteur ?

La formation doit être le fer de lance de la nouvelle politique du secteur maritime et portuaire. En effet, il serait vain d’investir des millions de dollars dans l’acquisition de navires si nous n’avons pas un personnel qualifié pour les exploiter de manière rentable et en veillant à proscrire les immobilisations quels qu’en soient leurs origines.

Il faut savoir que les immobilisations en plus du manque à gagner qu’elles engendrent, des coûts fixes de gestion qu’il faudra tout de même payer, elles sont la cause de la mauvaise notation concernant l’indicateur d’intensité carbone CII, tous les navires immobilisés de la flotte nationale ont reçu la note E pour l’année (la notation va de la meilleure note A à la plus mauvaise E).  La formation doit tout d’abord se concentrer sur les métiers maritime et portuaire. Très souvent. les services formation des entreprises ont comme premier souci de montrer à leurs supérieurs qu’ils ont bien consommer le budget prévu pour la formation. En quand on regarde de près le détail, on s’aperçoit que la grande partie de l’enveloppe budgétaire est consacrée à des formations sur des thèmes éloignés du cœur de métier.

Comment recouvrer la souveraineté nationale en matière de transport maritime ?

Quand on regarde l’inventaire de la flotte mondiale par pavillon, on se rend compte que des pays en voie de développement tel que le Nigeria possède une flotte sous pavillon national de 218 navires (CNUCED – Review of transport maritime 2024). Le transport international de nos marchandises se fait quasiment par la mer et par des armateurs étrangers à plus de 97%. Nos approvisionnements comme nos exportations (en dehors des hydrocarbures) dépendent des transporteurs étrangers. On estime à environ 5 Milliard de dollars le coût du fret payé en devises par l’Algérie. Ce sont les transporteurs qui fixent à leurs guises les coûts de fret (en y incluant des surcharges décidées unilatéralement). Il est connu aussi que les transporteurs étrangers préfèrent être payés par les fournisseurs, ce qui oblige quasiment les importateurs algériens à acheter en CFR (coût et fret). Il est donc clair que notre pays en se dotant d’une flotte de navires judicieusement choisie en nombre, type et capacité, non seulement nous assurerons notre souveraineté en ce qui concerne notre commerce extérieur , mais aussi nous éviterons sinon au moins nous réduirons grandement nos dépenses en devises et garantirons à nos exportateurs et importateurs des services de transport à des prix et délais raisonnables.

K.R.

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