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Entretien avec Boukhalfa Yaici, Directeur Général de Green Energy Cluster Algérie : « Dans vingt-quatre mois, l’Algérie disposera d’une capacité de production de 4000 MW en énergie renouvelable»

Dans cet entretien , le responsable du cluster énergie solaire souligne la nécessité de veiller à ce que les tranches suivantes qui doivent amener à installer 15.000 MW en 2035 puissent être planifiées, financées et mises en œuvre sans retard notable dans les prochains mois, les prochaines années.

Entretien réalisé par: Khaled Remouche 

Algérie Invest : Quelle est votre appréciation sur l’évolution du programme de développement des énergies renouvelables ?

M. Boukhalfa Yaici : La mise en œuvre du programme de développement des énergies renouvelables a été bien entamé avec le lancement de 3200 MW en 3 tranches : 2000 MW, 1000 MW et 200 MW avec deux types de centrales solaires photovoltaïques : 20 centrales PV connectées au réseau totalisant 3000 MWc et 1 centrale PV de 200 MWc avec stockage d’énergie à Gara Djebilet. Cette dernière est une première expérience à grande échelle dans notre pays.Dans les prochains 24 mois, l’Algérie atteindra 4000 MW partant d’une capacité actuelle de 601 MW (472 MW EnR et 129 MW hydroélectrique). A partir du moment où le programme est lancé, il s’agit surtout de veiller à ce que les tranches suivantes qui doivent nous amener à installer 15.000 MW en 2035 puissent être planifiées, financées et mise en œuvre sans retard notable dans les prochains mois et les prochaines années. Aujourd’hui, il s’agit de préparer l’après 3200 MW sur tous les plans en réunissant les ressources nécessaires en mesure d’assurer la continuité dans la démarche et atteindre les objectifs intermédiaires.

Comment voyez- vous les alternatives au financement public des projets de centrales photovoltaïques ?

Un financement de 3 milliards de Dollar a été sécurisé par Sonelgaz ce qui devrait couvrir les tranches actuelles. La suite du financement du déploiement du programme devrait être discutée et préparée dans la sérénité pour qu’un ensemble de modèles économiques et leurs financements puissent être mis en place avant le lancement de futurs appels d’offres.

A ce jour, le modèle EPC avec financement d’une banque publique a été mis en place. Il a ses avantages et ses inconvénients. Ses avantages sont surtout liés à la disponibilité d’un financement local, la maitrise du coût de construction d’une centrale PV, la répartition des risques entre les deux parties prenantes (l’entreprise de réalisation et le maitre d’ouvrage qui va s’occuper de son exploitation sur plusieurs années) alors que les garanties sont apportées par chaque partie prenante. En termes d’inconvénients, on peut citer la difficulté de mobiliser les ressources financières dans les délais nécessaires à la mise en œuvre du projet, les ressources limitées du maitre d’ouvrage qui doit s’occuper de rédiger un cahier des charges, le lancer, valider les études et les plans, assurer le suivi sur le terrain jusqu’à la mise en service, payer les entreprises dans les délais, absence d’innovations dans le processus et dans la technologie, etc. et dont chaque étape peut constituer un goulot d’étranglement pour un projet.

Un bilan d’étape et un bilan final devraient être fait pour connaitre les points positifs à renforcer et les points négatifs à rectifier. En tant que Green Energy Cluster Algeria, nous travaillons au suivi des projets gagnés par nos membres. Pour pallier à ce financement classique, il y a lieu de recourir à un modèle alternatif basé sur le financement du projet par l’entreprise qui serait chargée de le réaliser et de l’exploiter. Pour cela, il y a lieu de revenir rapidement à l’application de la réglementation dans ce domaine à travers la mise en œuvre du décret exécutif n° 17-204 du 22 juin 2017 complétant le décret exécutif n°17-98 du 26 février 2017 définissant la procédure d’appel d’offres pour la production des énergies renouvelables ou de cogénération et leur intégration dans le système national d’approvisionnement en énergie électrique. Ce décret exécutif permet le lancement d’appels d’offres à investisseurs et aux enchères pour que l’Etat se procure de nouvelles capacités de production à partir des énergies renouvelables. Dans ce cas, le modèle dit IPP (Independent Power Producer ou Producteur Indépendant d’Energie) est mis en œuvre. Cela veut dire que la société qui sera retenue sera chargée de tout le projet dont le financement, l’étude, la réalisation, l’exploitation, la maintenance et la vente de l’énergie produite. Un contrat de vente d’énergie électrique est signé entre la société de projet (IPP) et la société chargée d’acheter l’énergie (l’Opérateur Système ou Sonelgaz Distribution dans la réglementation locale). Deux tentatives lancées en 2018 avec la CREG (projet de 150 MWc aux enchères pour les investisseurs locaux) et en 2021 avec SHAEMS (projet Solar 1000 avec appel à investisseurs) n’ont pas été mené à leurs termes pour des raisons qui n’ont pas été données par les porteurs de ces 2 projets. Un tel modèle requiert un financement bancaire (70 à 80% du projet) qui ne peut être mis en œuvre que si le contrat est bancable dont les garanties nécessaires pour sécuriser l’investisseur. Les avantages sont nombreux tels que l’investissement est assuré par un opérateur économique (privé ou public) ; un contrat de vente de l’électricité durant 20 à 25 ans ; l’optimisation des coûts est au cœur du modèle économique développé par l’opérateur économique ; le  projet qui garantit son paiement et de ce fait, l’innovation tient une place importante dans la démarche de l’opérateur ; l’acheteur (Sonelgaz Distribution) est tenu d’honorer les factures d’achat, il ne s’occupe pas de l’exploitation et de la maintenance de la centrale PV. Sonelgaz pourra consacrer ses ressources au renforcement des réseaux électriques et à leurs modernisation afin de recevoir des quantités importantes des énergies vertes dans les années à venir.

En termes d’inconvénients, on peut s’attendre à un tarif de vente plus important que celui obtenu avec le modèle EPC si le taux d’intérêt consenti par la banque est plus élevé, un niveau de rentabilité suffisante pour attirer l’investisseur et la prise en compte des risques encourus. Plus les risques sont importants, plus cher sera le tarif proposé. Ce modèle peut fonctionner s’il y a une répartition adéquate des risques entre les deux parties. Dans beaucoup de pays, le modèle IPP a mis beaucoup de temps à se mettre en place en raison de l’absence d’un contrat de vente bancable. Afin d’éviter des retards dans sa mise en œuvre, le maitre d’ouvrage a besoin d’être accompagné et les pouvoirs publics doivent participer à donner les garanties nécessaires en cas de risque d’insolvabilité de l’acheteur par exemple.

Au-delà du financement des projets tels que présentés, il y a lieu de travailler sur la décarbonation de notre économie et inciter les différentes entreprises à investir dans des solutions bas carbones. Le solaire PV est une des solutions. Les entreprises du secteur industriel doivent être accompagnées pour qu’elles puissent produire une partie de leurs énergies avec du solaire, réduire leurs empreintes carbone en accord avec l’utilisation des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

L’objectif d’exportation de 15 milliards de Dollar en 2026 devrait intégrer les principes ESG et utiliser ce levier pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. L’Algérie a mis l’accent sur la mise en place d’une industrie grosse consommatrice d’énergie (acier, ciment, fertilisant) dont les principaux acteurs sont aujourd’hui des exportateurs à destination de l’Union Européenne. En 2022, l’exportation de ces 3 produits avaient rapporté 4,3 milliards de dollar US.  Cette situation est appelée à changer dans la mesure où l’Union Européenne a mis en place un mécanisme destiné à aligner ses importations avec ses objectifs de neutralité carbone en 2050 à travers un mécanisme appelé CBAM (Carbon Border Mechanism Adjustment ou mécanisme d’ajustement carbone aux frontières MACF). Ce mécanisme entrera en vigueur le 1 janvier 2026. Pour faire face au CBAM, les pouvoirs publics de notre pays sont interpellés pour intervenir et faciliter la décarbonation de ces industries grosses consommatrices de gaz naturel en facilitant la mise en place de nouvelles capacités de production à base d’énergies renouvelables via la mise en place de contrat privé entre un producteur d’énergie verte et un consommateur d’énergie à la recherche de la réduction de son empreinte carbone. On appelle cela un contrat CPPA (Corporate Power Purchase Agreement). Le réseau de Sonelgaz servira à faire transiter les électrons. Cette démarche aura pour bénéfice de réduire l’investissement que consentira l’Etat dans la mise en place de nouvelles capacités de production d’énergie et de laisser cette partie aux investisseurs eux-mêmes, à l’exemple de ce qui se fait dans les unités d’auto-production, aujourd’hui fonctionnant au gaz naturel et demain devant le faire avec des énergies vertes. Enfin, il y a lieu de faciliter la création de nouveaux modèles d’affaires et de contrats permettant une forte intégration des EnR dans notre économie, l’utilisation des énergies fossiles et des EnR, la promotion de l’efficacité énergétique, la réduction de l’empreinte carbone de notre utilisation du gaz naturel comme source de chaleur par une électrification de nos usages finaux en commençant à le faire dès à présent.

Quelles ont été les limites de l’implication des sociétés locales dans les programmes de 2920 MW lancés par Sonelgaz et dont les projets de réalisation de centrales photovoltaïques sont en cours de réalisation ?

Il y a lieu de rendre hommage aux entreprises locales, seules ou en partenariat, qui ont fait des efforts énormes pour soumissionner et gagner des parts de marché sur un nouveau marché d’une telle ampleur et en face d’entreprises chinoises qui ont l’habitude de ce type de grands projets à l’échelle internationale. Après la signature des contrats et le début des réalisations, toutes les entreprises y compris les sociétés de la Holding Sonelgaz font face à un important challenge caractérisé par la taille du projet et des délais de réalisation très courts. Cela implique la présence et la participation d’une ressource humaine aguerrie, en quantité et en qualité qui doit se manifester en termes de suivi de toutes les étapes d’un projet, la validation et l’approbation des études par le maitre d’ouvrage, la flexibilité dans la relation entre le maitre de l’ouvrage et les co-contractants. Des difficultés apparaissent dans ces relations et elles ont besoin d’être rapidement dépassées par un dialogue serein et la recherche de compromis aux bénéfices des deux parties sans nuire à la bonne marche du projet. Des retards dans les approbations des études peuvent créer des situations qui peuvent aller à l’encontre de l’approvisionnement surtout au niveau local puisque 35% de chaque lot doit être procuré en Algérie. Si des retards apparaitront dans les approbations par le maitre de l’ouvrage alors que les délais sont courts, il y a un fort risque de contournement des approvisionnements locaux et le recours à l’importation. Nous appelons toutes les parties prenantes à respecter cet engagement, vital pour notre industrie locale.

Quel a été l’impact de ces programmes lancés en termes de visibilité et en termes de plus grande attractivité du marché algérien ?

Le lancement des premiers lots a attiré l’attention des acteurs nationaux et internationaux. Des investisseurs se sont rapprochés de l’AAPI pour inscrire des projets de grande envergure dans le panneau solaire (fabrication de toute la chaine de valeur depuis la matière première disponible en Algérie), les structures et les équipements électriques de la haute tension. Néanmoins, si on veut rendre la destination Algérie très attractive au niveau régional, on doit améliorer le cadre pour fluidifier les investissements vers l’Algérie en allant au-delà de simples exonérations pour promouvoir d’autres activités en rapport avec la technologie, les énergies renouvelables, l’économie circulaire. Une invitation à des investisseurs financiers pour financer les prochaines étapes du déploiement du programme des énergies renouvelables devrait être examinée et promue à l’échelle internationale.

Comment analysez- vous le développement des ENR en hors réseau, notamment dans le secteur agricole ?

D’après le rapport du CEREFE (Commissariat aux Energies Renouvelables et à l’Efficacité Energétique) publié il y a quelques jours, la capacité installée en hors réseau à fin 2023 est de 47.85 MW dont moins de 10 MWc installée en 2023. La majeure partie des installations en hors réseau par ordre d’importance sont les kits solaires (près de la moitié), l’éclairage public, la solarisation des écoles, quelques systèmes de pompage d’eau et des mini-réseaux électriques isolés pour les télécoms. La partie hors réseau représente 10% de la capacité totale installée en Algérie. A la fin de l’année 2023, Green Energy Cluster Algeria avait organisée une journée dédiée aux applications solaires photovoltaïques destinées au secteur de l’agriculture. Des éléments probants concernant les besoins à satisfaire pour couvrir plus de 500.000 Ha avaient été présentés : possibilité d’installer une capacité solaire pour alimenter des exploitations agricoles de grandes superficie comprise entre 1,25 GWc et 3,35 GWc, 500 à 600 pivots à installer par année, une économie de gaz naturel important (entre 750 millions de m3/an et 2 milliards de m3/an). Ces économies de GN peuvent être exportées ou utilisées pour l’industrie.

Nous proposons qu’un mécanisme devrait être mis en place pour soutenir les installations solaires de la même manière que les équipements destinés à l’agriculture. Une autre possibilité serait la promotion du modèle de type IPP via des investissements portés par des tierces parties qui vendraient de l’électricité à l’exploitant agricole qui disposera d’une énergie électrique H24, 365 jours/an et paiera le même tarif que s’il était raccordé à un réseau classique de Sonelgaz. Cela se fera pour les grandes exploitations agricoles distantes de plus de 10 km du réseau de Sonelgaz Distribution. Un modèle basé sur la concession faciliterait les investissements dans le domaine de la production d’énergie électrique via des mini-réseaux isolés. Afin d’aller dans cette direction, il faut mettre fin à la double tutelle sur les énergies renouvelables partagée aujourd’hui entre le ministère de l’énergie et des mines et le ministère de l’environnement et des énergies renouvelables. Aujourd’hui, Sonelgaz tire des câbles sur plusieurs dizaines de km pour raccorder des exploitations agricoles sans considération pour les coûts que cela occasionne pour la collectivité nationale alors que des solutions alternatives plus économiques existent. Ensuite, il faut soutenir une partie de l’investissement dans le mini-réseau isolé et promouvoir le contenu local dans les produits et les services destinés à ce type de projets.

Pensez- vous que l’Algérie s’achemine vers la production par les ménages de l’énergie via les panneaux solaires ?

Tant que la tarification de l’électricité vendue aux ménages ne sera pas revue, il est difficile de penser à mettre en place un mécanisme pour faciliter la production d’énergie par les ménages pour leurs propres besoins appelé autoconsommation. De plus, ce modèle est plus adapté pour les constructions individuelles que pour les constructions collectives. La meilleure démarche est de travailler sur la réduction de la consommation des ménages qui a représenté, selon les chiffres de 2022 présentée par l’APRUE il y a quelques semaines, 47% de la consommation énergétique finale totale du pays. Près de 60% de cette consommation est le fait de la consommation en GN et 33% de l’électricité. Les programmes de construction de logements -dont celui annoncé de 2 millions- devraient inclure obligatoirement des matériaux isolants et une obligation de respecter les classes énergétiques des équipements électro-ménagers les plus économes. Des économies de l’ordre de 30% peuvent être obtenues ainsi. Il faut ensuite s’attaquer aux anciennes constructions et entamer les mêmes actions. Cela devrait être massivement déployée et soutenue sur plusieurs années afin d’avoir un effet notable sur la réduction de la consommation énergétique des ménages. Toutes ces actions devraient permettre de faire des économies de gaz naturel et de réduire l’empreinte carbone du secteur de l’énergie et donc du pays.

L’Algérie a fourni ces dernières années de gros efforts pour réduire les émissions de CO2.  Devra-t-on monétiser ces quantités de CO2 réduites dans le cadre du marché carbone ?

Je pense que vous parlez plus des efforts fait par Sonatrach pour réduire les fuites de gaz et le torchage qui se met sur une trajectoire d’éliminer le torchage et les émissions de CO2 en 2030. Concernant les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) dont le CO2, l’Algérie est un gros émetteur de GES en Afrique. En 2019, les émissions ont atteint 282,23 MTEqCO2. La plus grande partie des émissions de CO2 est le fait du secteur de l’énergie dans sa partie de production d’électricité (62% des émissions du CO2 avec un total de 89,4 MTCO2).

Ces émissions risquent d’augmenter avec les investissements annoncés dans la sidérurgie, les mines, l’agriculture, etc. En 2015, l’Algérie a présenté, au titre de l’Accord de Paris, un engagement portant sur la réduction de 7% des gaz à effet de serre d’ici à 2030 avec ses propres capacités et moyens. Ce taux peut être porté à 22 % si elle arrivait à bénéficier de l’aide financière et technologique nécessaire. Aujourd’hui, Les 7% seraient assurées par la mise en place du projet EnR qui est destiné à décarboner le secteur de la production d’énergie électrique. La décarbonation de la partie chaleur thermique reste posée aussi bien pour les particuliers que pour les industriels. Concernant votre question, il faut mettre en place un marché carbone au niveau national qui permettrait d’assurer la compensation à défaut d’éliminer leurs émissions auprès d’utilisateurs de technologies bas carbone et/ou de source renouvelables, de permettre de couvrir une partie des surcoûts liés aux EnR.  Une démarche de l’autorité concernée par cette question devrait être entamée car on ne voit pas d’initiatives dans ce domaine.

K.R.

 

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