Réforme Bancaire en Algérie : Stratégies, Gouvernance et Innovation pour 2024 (Rachid Sekkak)
Le Ministère des Finances réuni ce samedi toutes les parties concernées

La réforme bancaire devra être accompagnée par un effort colossal de formation et de communication ayant pour finalité de produire un choc culturel et faire adhérer à la réforme, a souligné le spécialiste financier M. Rachid Sekak.
Par Khaled Remouche
Les pouvoirs publics souhaitent faire de 2024 l’année de la réforme bancaire. À cet égard, l’expert note une volonté politique forte de mettre en œuvre ce processus de transformation, ce qui s’avère positif, commente-t-il. À cet effet, une rencontre sera organisée prochainement avec toutes les parties concernées en vue de lancer ce processus de changement. Mais comment opérer une telle réforme, son mode d’emploi étant jugé complexe?
Rachid SEKAK, fort d’une riche expérience dans la gestion des banques en Algérie et à l’étranger, ayant occupé plusieurs responsabilités dans diverses banques de renom et ayant travaillé sur ce dossier depuis plusieurs années, nous a livré lors d’une rapide conversation le fruit de sa réflexion sur cette réforme si nécessaire et si incontournable au regard de la situation actuelle de notre secteur bancaire. Il relève d’abord «la difficulté à faire une dichotomie entre économie financière et économie réelle» en soulignant que «la situation actuelle du système bancaire reflète et accentue les dérèglements structurels de notre économie». Alors comment, dans un tel contexte, organiser le processus de réforme ? Cette réforme devrait s’articuler, suggère-t-il, autour de six axes forts.
Premier axe : la définition d’une stratégie de développement du secteur bancaire et sa communication au niveau national et international. Ceci afin, en particulier, d’améliorer la visibilité des investisseurs potentiels étrangers et locaux en définissant une doctrine claire sur les investissements dans le secteur.
Second axe d’une grande importance pour l’ancien banquier : le renforcement et la modification de la gouvernance des banques publiques. Il convient, souligne-t-il, de viser une évaluation objective de la performance et d’apporter une clarification sur le rôle des banques publiques qui est actuellement ambigu. À propos des injonctions, il préconise que les coûts associés à l’exécution des objectifs non commerciaux des pouvoirs publics doivent être compensés par des affectations budgétaires et non noyés dans les bilans des banques publiques. Ce mode opératoire conduira à une juste évaluation de la performance et permettra une responsabilisation accrue du top management de nos banques publiques.
Au cœur de cette réforme, le respect de l’autonomie des banques publiques.
Sekak appelle, en outre, au respect de l’autonomie des banques publiques et à la possibilité d’injonctions uniquement dans le cadre précité. Concernant les autres aspects de la gouvernance des banques, il soutient le maintien de la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration de celles du directeur général (DG). À cet égard, l’interface du propriétaire qui est l’État doit obligatoirement être la présidence du Conseil d’administration (CA) et non pas la DG. Il suggère des rencontres périodiques entre le DG et le président du conseil d’administration et une implication des membres du conseil d’administration dans divers comités internes aux banques.
Pour compléter cet axe, il suggère également l’élargissement et le renforcement du conseil d’administration. Il s’agit de l’introduction d’experts bancaires et financiers indépendants, et de la certification des membres du CA par un organisme indépendant. Il relève aussi que chaque CA des banques devra recevoir une lettre d’instruction et de missions qui indique clairement pour quels objectifs ses membres ont été désignés afin d’assurer une responsabilité collective et solidaire. Il s’agira aussi, dans ce registre, de renforcer les outils de pilotage, notamment au travers d’une refonte totale et d’une modernisation des systèmes d’information qui sont obsolètes. Autre suggestion pour ce volet : le renforcement de la transparence et des obligations légales de publication de l’information comptable et financière et celle de l’état des risques dans le strict respect des délais réglementaires. Il s’agit aussi de viser à terme une notation financière internationale.
Le troisième axe porte, d’après SEKAK, sur l’amélioration du dispositif de supervision macroprudentielle via quatre mesures. Il s’agira de renforcer et de moderniser les registres de crédits (centrales des risques) aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers ; de mettre en place une base de données des garanties hypothécaires et autres données par le débiteur ; de favoriser un choc culturel dans le contrôle sur place de l’inspection de la Banque d’Algérie. Ce dernier se focalise trop, d’après l’expert, sur la vérification de la conformité réglementaire et pas suffisamment sur l’amélioration des processus. Rachid SEKAK propose également d’ériger une commission bancaire totalement indépendante du Gouverneur de la Banque d’Algérie.
Par ailleurs, l’axe 4 de cette proposition de programme de réforme concerne l’innovation et l’élargissement de l’offre de produits. « N’ayons pas peur des approches novatrices et des nouvelles technologies ! » proclame l’expert, en ajoutant que le numérique et le digital seront cruciaux pour le développement du secteur et sa compétitivité. Dans ce registre, SEKAK relève aussi qu’il est souhaitable d’encourager la création de sociétés spécialisées dans l’information financière, notamment celles relatives à la notation externe des entreprises et au partage de normes financières sectorielles.
Le cinquième axe porte sur les évolutions institutionnelles hors secteur bancaire, notamment juridiques. Le spécialiste préconise certaines évolutions du système judiciaire, en particulier sur le droit des sociétés en difficulté (conciliation et sauvegarde au-delà de la faillite et du règlement judiciaire). Le déploiement d’un « Chapter 11 à la mode américaine » serait une bonne évolution. Les évolutions devraient aussi toucher le droit des créanciers et l’exécution des garanties ainsi que le régime de la faillite personnelle.
Le sixième axe porte sur les ressources humaines, le développement des compétences et la communication. Cette réforme, souligne Rachid Sekak, devra être accompagnée par un effort colossal de formation et de communication ayant pour finalité de produire un choc culturel et faire adhérer à la réforme. Il s’agira aussi de renforcer la capacité financière de nos banques et de nos entreprises. Dans cette présentation non exhaustive de la substance de ce processus de transformation de nos banques, l’expert financier n’omet pas de relever que la réforme bancaire ne pourra tout faire ou tout régler. Elle devra être accompagnée d’un programme cohérent de réformes, souligne-t-il.
La réforme bancaire constitue, elle, une partie de ce plan de transformation de l’économie nationale que les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre, ajoute-t-il. Cela est d’autant plus indispensable qu’il s’agit de moderniser notre économie, de la rendre efficiente et moins dépendante des fluctuations des prix du baril de pétrole, la banque devenant ainsi par ces changements un réel catalyseur de l’expansion économique du pays. Et Rachid SEKAK de conclure : « La prise de conscience actuelle est encourageante et salutaire, espérons un rapide déploiement de cette réforme tant attendue. »
K.R.